Retour en Antarctique : une croisière de dix jours dans le plus bel endroit du monde

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Après la croisière en Antarctique à laquelle j’ai participé fin 2021, et qui fut l’un des plus beaux voyages de ma vie, j’ai été invité à y retourner en décembre 2022. Et une fois encore, la magie a opéré.

█ Du 4 au 6 décembre 2022 : traversée d’Ushuaïa à la péninsule Antarctique

Il y a un an, je terminais le récit de ma première visite en Antarctique par ces mots : « après un voyage comme ça, on se dit souvent : « je veux y retourner ». Perso, je vais d’abord attendre la fin de la pandémie… ». Les surprises de la vie font que cette opportunité s’est présentée bien plus tôt que je ne l’imaginais, Young Pionner Tours m’ayant offert l’opportunité de m’y rendre en tant que tour leader, chargé de veiller sur dix touristes.

Le navire sur lequel nous voyageons est le Hondius, qui m’avait conduit au Groenland en 2019 et en Antarctique l’an dernier. L’occasion de revoir des visages familiers, tant parmi les guides de l’expédition (Alexis, le moniteur de kayak, que je revois pour la troisième fois ; Hazel, la spécialiste des baleines ; ou encore Pippa, qui était guide au Groenland et a été promue expedition leader) que parmi ceux de l’équipage (la charmante Karolina à la réception ; les bartenders Rolando et John…).

Le Hondius, qui paraît minuscule à côté d’un méga-paquebot ayant accosté dans le port d’Ushuaïa. Je préfère les petits formats, surtout en Antarctique : les navires de plus de 500 passagers n’ont pas le droit de les faire accoster.

Les premières heures sur le navire suivent un rituel très codifié. Installation dans les cabines, briefing de sécurité, vérification des gilets de sauvetage, exercice d’évacuation, discours de bienvenue du capitaine, présentation de l’équipe. Changement majeur par rapport à l’an dernier : alors que nous étions perpétuellement dans la crainte du Covid, il n’y a désormais plus de test quotidien obligatoire, ni même de consignes de port du masque. Ceux qui ont lu mon récit de l’an dernier se souviennent à quel point nous étions passés près du désastre : quinze jours après notre croisière, la saison prenait fin prématurément. Une guide qui travaillait à l’époque pour une autre compagnie m’a confié avoir connu jusqu’à 120 cas positifs sur le même navire !

Les deux journées suivantes nous voient progresser vers le sud à un très bon rythme. Nous profitons du fait que le passage de Drake soit paisible pour faire connaissance, manger, nous reposer, et assister à quelques présentations visant à nous donner un avant-goût et une meilleure compréhension de ce que nous verrons. Elles ont lieu dans la plus belle salle de conférence du monde : quand avez-vous vu pour la dernière un albatros en regardant par la fenêtre ?

La biosécurité est un aspect important d’une croisière en Antarctique. Pour éviter d’y apporter des espèces invasives, nos vêtements et sacs sont soigneusement contrôlés et nettoyés de tout élément biologique risquant de « contaminer » le continent blanc. L’accent est aussi mis sur les règles promulguées par l’IAATO, l’Association internationale des voyagistes antarctiques. Le septième continent n’appartient à aucune nation et les croisiéristes sont libres d’y travailler comme ils l’entendent. Certains ont donc choisi de s’imposer un cadre pour limiter autant que possible l’impact de leur activité sur les lieux et la vie sauvage. Par exemple, il nous est interdit d’approcher les animaux à moins de cinq mètres ; et bien sûr de laisser des déchets sur notre passage. Ces règles sont bienvenues, mais ne restent appliquées que sur la base du volontariat (l’adhésion à l’IAATO n’est pas obligatoire pour descendre en Antarctique) et ne doivent pas faire oublier l’impact d’un tel voyage. Des chercheurs ont ainsi calculé, à la louche, que chaque passager se rendant en Antarctique est responsable de la fonte de 40 à 80 tonnes de glace.

Le passage de Drake a été clément et il est à peine 17h30 quand nous voyons émerger à l’horizon la silhouette estompée des îles Shetland du sud, baignées dans la brume. Un comité d’accueil composé de baleines, pétrels géants, albatros et pétrels antarctique vient à notre rencontre. L’aventure peut enfin commencer.

█ Mercredi 7 décembre : Cuverville Island et Neko Harbour

Un des touristes de mon groupe m’a demandé si ça ne m’ennuyait pas de refaire le même voyage à peine un an plus tard. Contemplant par le hublot de ma cabine les arêtes des montagnes plongeant dans une mer constellée de glaçons, j’ai la certitude qu’il est impossible de se lasser d’un tel endroit. Rien d’étonnant à ce que les Scott, Charcot, Amundsen ou Shackleton y soient revenus expédition après expédition, dans des conditions dantesques.

J’écrivais plus haut que l’Antarctique n’appartient à personne et que chacun y fait ce qu’il veut. Ce n’est pas tout à fait vrai. Le Traité de l’Antarctique impose quelques règles, dont une interdisant de faire débarquer plus de 100 personnes en même temps. Les 160 passagers du Hondius sont donc divisés en deux groupes : pendant que certains peuvent enfin se dégourdir les jambes sur l’île de Cuverville, l’autre, dont je suis, embarque pour une excursion en zodiac dans la baie d’Andvord.

Devant nous s’étend un panorama de bleu et de blanc, le ciel à peine voilé se reflétant sur une mer de cristal d’où émergent quelques manchots. Nous nous frayons un passage parmi les glaçons et rencontrons notre premier phoque de Wedell et des baleines à bosse.

La seconde partie de la matinée nous voit débarquer sur Cuverville, lieu que j’avais déjà visité l’an dernier. Je ne reconnais pas l’endroit – sans doute sommes-nous à un point différent de l’île – mais y retrouve ce qui m’avait conquis à l’époque : des reliefs d’une blancheur éblouissante d’où ressortent de zones de nidification de manchots papous, à l’odeur et à la couleur caractéristique : le marron, c’est des excréments. Voilà, c’est dit.

Cuverville est habité par une colonie de plusieurs milliers de ces manchots au bec orange caractéristique. Ils attendent patiemment la fonte des neige, tardive cette année, afin de pouvoir construire leur nid et y déposer un œuf. En janvier, ils écloront et les bébés qui survivront aux attaques de skuas feront leur mue en février et prendront la mer en mars, où ils resteront jusqu’à novembre prochain. En attendant cette fonte, ils ramassent des cailloux qu’ils offrent à leur partenaire, et se promènent. Leur existence nous paraît parfaitement absurde – mais ils penseraient peut-être la même chose de la nôtre.

Notre programme de l’après-midi prévoyait les mêmes activités à Neko Harbour, baie surplombée par un glacier que nous n’avions pas pu visiter l’an dernier car la glace en empêchait l’accès. Mais après deux heures de navigation, la même sentence tombe. Il est trop dangereux d’y accoster, mais nous pouvons sortir les zodiacs. Je me couvre de crème solaire – je ne l’ai pas fait ce matin et ai déjà la peau brûlée par la réverbération – pour cette nouvelle sortie. Nous admirons les millions de facettes des blocs de glace, aux jeux d’ombre bleutés, et les reliefs tourmentés de la côte. La vie sauvage n’est pas en reste, avec l’observation de manchots à jugulaires et de phoques paresseusement posés sur des radeaux de glace et, pour les plus chanceux d’entre nous, la vision exceptionnelle de deux baleines à bosse endormies à fleur d’eau dans un chenal.

« Vous avez vécu une journée digne d’une carte postale. Lors de la dernière croisière, nous avons eu cette météo pendant une heure environ [sur dix jours] : le reste du temps nous avions affaire à de la neige horizontale », nous déclare Pippa lors du debriefing du soir. Tout le monde est ravi, même ceux qui ont mis le pied à terre et immédiatement demandé à revenir sur le bateau car « j’ai mis le pied en Antarctique, ça compte comme mon septième continent ».

Le soir, j’essaye difficilement de rédiger ce texte, mon attention régulièrement attirée par le paysage baigné dans la lumière du soleil couchant. Nous sommes dans la bien-nommée Paradise Bay.

█ Jeudi 8 décembre : Base Brown et Damoy Point

La journée d’hier s’est achevée dans un festival de couleurs ; celle d’aujourd’hui démarre en noir et blanc. Le temps s’est couvert et l’eau est d’un noir d’encre. Un autre visage de l’Antarctique, où les reflets bleutés peinent à se faire une place. Sur cette scène que l’on croirait tirée d’un film, quelques acteurs nous toisent : des manchots, une baleine à bosse qui s’échappe en nous entendant, un léopard des mers, mais aussi une colonie de cormorans impériaux nichée à flanc de falaise.

Nous atterrissons près de la Station de l’Amiral Brown, une des treize bases installées par l’Argentine sur le continent blanc. Elle a été construite en 1951, mais a été brûlée en 1984 par un docteur devenu fou après avoir après que sa relève n’aurait pas lieu et qu’il devrait passer deux ans sur place, au lieu d’un. La base que nous voyons aujourd’hui est plus petite que l’originale et pour cause : elle n’est plus occupée qu’en été. Mesure de précaution.

Cette sortie est l’un de mes meilleurs souvenirs de l’an dernier : nous avions pu prendre de la hauteur, nous asseoir dans la neige et profiter de la vue sur la baie. Cette année, la neige fraîche nous oblige à rester à proximité du point d’accostage. Nous y passons néanmoins un très bon moment : les lieux, où les chercheurs ne sont pas encore arrivés, ont été investis par une colonie de manchots papous. Ces créatures irrésistibles rendraient mignon n’importe quel endroit.

L’après-midi devait normalement nous mener à Danco Island mais les rafales qui y soufflent sont trop violentes et risqueraient de nous empêcher de débarquer ; nous mettons donc le cap vers Damoy Point, où se trouve le refuge du même nom. Il a été établi en 1975 par les Britanniques à proximité d’une piste d’atterrissage construite deux ans plus tôt. Les lieux ne sont plus utilisés depuis 1993 et sont considérés comme un monument historique depuis 2009.

La piste d’atterrissage était longue de 400 mètres et s’étendait sur la glace. Le lieu s’y prête parfaitement. Contrairement aux baies que nous avons parcourues jusqu’ici, où nous étions souvent entourés de montagnes, Damoy Point semble s’étendre à perte de vue et me donne (enfin) la mesure de l’immensité du continent. C’est une vue de l’esprit, bien entendu, mais ce panorama me semble être l’entrée de ces 4000 kilomètres de glace. Il me revient en mémoire le passage du documentaire de Werner Herzog, Rencontres au bout du monde, où un manchot s’en va vers une mort certaine.

La balade en zodiac de cet après-midi m’est par contre peu agréable. Le vent s’est levé et nous glace le corps tandis que mes yeux, brûlés par la lumière, me font souffrir. Malgré les progrès des vêtements techniques et des lunettes de soleil, l’Antarctique reste un endroit piégeux à ne pas négliger. Je paie le prix de la journée d’hier, où je suis sorti en oubliant mes lunettes.

█ Vendredi 9 décembre : L’île de Petersmann et la baie de la Salpêtrière

« Je me demande si je reverrai un jour quelque chose d’aussi beau », me confie une femme alors que nous contemplons le panorama depuis l’île de Petersmann. Je la rassure – j’ai eu la même inquiétude l’an dernier – mais je la comprends parfaitement tant le paysage qui s’étend à nos pieds a des allures de carte postale. Au premier plan, une colonie de manchots, perchée sur un rocher. Au-delà, des champs de glace parsemés d’icebergs moitié noyés de soleil, moitié plongés dans l’ombre. En arrière plan, des montagnes coiffées de nuages floconneux.

La journée n’avait pourtant pas commencé sous les meilleurs auspices : nous nous sommes réveillés dans la brume et la neige. Mais une fois dans les zodiacs, la magie a opéré : l’absence de vent a rendu la température (-2°C) tout à fait supportable et les nuages ont disparu peu à peu, libérant les couleurs du continent.

La baie où nous voguons est d’une beauté indescriptible ; le lieu de l’atterrissage aussi. Petersmann Island nous offre de magnifiques vues, de nombreuses opportunités de promenade, et la possibilité de voir plusieurs « crèches » de manchots papous et Adélie. Chaque direction que nous regardons, chaque photo que nous prenons semblent être une peinture, comme les illustrations des livres d’aventure de notre enfance.

L’après-midi devait nous voir accoster sur l’île Charcot, où le commandant éponyme et son équipage ont passé l’hiver 1903, mais la trop grande présence de glace près des zones de débarquement nous en empêche. Dommage, car on y trouve des vestiges de l’expédition qu’en tant que Français, j’aurais beaucoup aimé voir. A la place, nous partons pour une excursion en zodiac dans la baie de la Salpêtrière, nommée par le commandant en hommage à l’hôpital parisien où travaillait son père.

Cette baie est dominée par les formes majestueuses des gigantesques icebergs qui y sont attirés par le courant et qui s’y retrouvent coincés, dans une sorte de cimetière de glace où ils attendent que l’assaut des vagues et du soleil les fassent disparaître.

Nous avons la possibilité d’effectuer un bain polaire sur l’une des plages de la baie ; mais l’état de mes yeux ne me le permet (malheureusement ?) pas.

La journée se termine par le traditionnel barbecue organisé par l’équipage, au cœur du chenal Lemaire, dont un millier de mots ne suffiraient pas à décrire la beauté.

█ Samedi 10 décembre : Port Lockroy et le détroit de Gerlache

« Good morning Hondius, good morning. It’s a beautiful day. The temperature is 5° centigrade and it’s bright and sunny outside. » Les messages matinaux de Pippa se suivent et se ressemblent : nous aurons eu, en termes de météo, la plus belle croisière depuis le début de la saison. « Ce n’est pas normal. Cela va se payer lors de la traversée du passage de Drake », s’inquiètent certains.

Pour cette dernière journée d’activités, nous avons jeté l’ancre dans la baie de Port Lockroy, nommée par le commandant Charcot en hommage au ministre Lacroix (qui a donc vu son nom anglicisé) qui avait aidé à financer son expédition. Les philatélistes qui sont du voyage sont ravis, puisque l’endroit est connu pour abriter le « Penguin Post Office », un bureau de poste géré par les Britanniques. Si on m’avait dit un jour que je serais si heureux d’aller à la Poste !

Quatre femmes sont ici pour six mois, en totale isolation – leur île fait la taille d’un terrain de basket et elles ne possèdent pas la moindre embarcation – et dans un confort spartiate, sans eau courant, avec une électricité limitée et bien sûr pas de connexion Internet. Nous en faisons monter deux sur le Hondius ; après avoir profité d’une douche chaude, elles nous font une présentation sur l’histoire de la présence britannique en Antarctique, devenue permanente depuis 1943. Port Lockroy et les sites historiques du royaume en Antarctique (dont le refuge de Damoy) sont gérés par le UK Heritage Trust.

La matinée est marquée par un débarquement sur l’île qui compte comme habitants, outre les quatre volontaires, plusieurs dizaines de manchots papous. L’endroit a été conservé dans le style des années 1950 (photos du magazine Playboy inclues) à l’exception de la boutique de souvenirs, qui propose un choix varié de produits : t-shirts, peluches, magnets, livres, timbres de collection… Je poste mes cartes (1£ le timbre seulement !), fait tamponner mon passeport, et discute avec une des habitantes qui me recommande, au vu de mon expérience, de postuler pour devenir guide sur un navire polaire. J’y pense.

La descente à Jougla Point est notre dernière chance d’observer les manchots et de nous dégourdir les jambes avant le retour vers Ushuaïa, qui va nous prendre 2,5 jours. On fait durer ce moment le plus longtemps possible et j’embarque finalement sur le tout dernier zodiac à quitter l’île.

Notre remontée vers le nord nous fait traverser, dans l’après-midi, le spectaculaire chenal Neumayer. La majesté et la beauté des lieux impose le respect : à la poupe du navire, chacun se surprend à chuchoter pour ne pas troubler la paix qui y règne.

Puis vient le passage de Drake. Ou plutôt, le lac de Drake, tant il est paisible. Notre chance nous aura accompagné jusqu’à Ushuaïa !

 

Commentaires 2

  1. Zhu

    Juste un petit mot sur le dernier article lu sur ton blog que j’ai découvert cette semaine et que je dévore pendant mes trajets estivaux en TER 😉 Je connais certais endroits : j’ai été jusqu’à Ushuaia en bus, pas jusqu’en Antarctique… je passe ma vie à essayer d’échapper au froid canadien! J’ai retrouvé aussi les ambiances du Nicaragua et de la Chine… et j’ai ri de ta visite à Ottawa, où je vis depuis 20 ans (effectivement, c’est pas l’aventure de ta vie).

    Merci pour tes photos et tes écris en tout cas. Je te suis, j’ai ajouté ton blog dans mes « feeds » (ça se fait toujours, eh oui!).

    Pis continue à voyager, bordel! J’en suis à l’Égypte là 😉

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