Croatie : 9 jours sur la côte dalmate, de Split à Dubrovnik, en passant par Hvar et Mjlet

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Ce voyage de toute beauté m’a mené de Split à Dubrovnik, en passant par Hvar et Mljet. Un itinéraire chargé d’Histoire et de paysages magnifiques qui m’a enthousiasmé comme rarement !

La Croatie, enfin ! Un voyage que j’attendais depuis longtemps. D’une part car c’était le dernier pays de l’Union européenne que je n’avais pas visité, mais aussi car – au-delà de la liste – j’avais l’intuition qu’il allait me plaire. Une histoire folle, des cités médiévales préservées, une mer turquoise… Que demander de plus ? La raison pour laquelle j’ai attendu si longtemps avant de succomber est que la Croatie est très touristique. Trop, peut être, en été. Ce qui l’a fait sortir de la liste de mes priorités. Mais le coronavirus est arrivé et a résolu pour un temps le problème du tourisme de masse. Cet été 2020 était donc l’occasion parfaite pour venir (oui, cet article est resté dans mes brouillons pendant 3 ans)

█ Jour 1 : visites de Trogir et Split

Promenade dans la ville médiévale de Trogir

En sortant de l’aéroport de Split, je commence par me rendre à Trogir, située à 5km environ. Cette ville de 10.000 habitants possède un centre médiéval – en fait, une cité complète positionnée sur une île, autour de laquelle la ville s’est depuis étalée – parfaitement conservé. A tel point qu’il a été placé en 1997 sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.

L’histoire de la ville est très ancienne, puisque ce sont les Grecs qui la baptisèrent (Tragurion, « l’île des boucs ») au IIIe siècle avant Jésus-Christ. Elle fut sous la domination de Venise du XIIIe au XVIIIe siècle, ce qui se remarque au fil de la balade.

Trogir

En y arrivant, je découvre que je ne me suis pas trompé quand je me disais que c’était le bon moment de visiter la Croatie. C’est absolument désert. Une ville fantôme. Si déambuler dans ces ruelles tortueuses sans croiser âme qui vive a quelque chose de magique, je ressens quand même un peu de peine pour les employés qui tentent sans grande conviction d’attirer du monde dans leurs magasins, bars ou restaurants vides.

Le joyau de la ville est la cathédrale Saint-Laurent, bâtie au XIIIe siècle et considérée comme l’une des plus belles de Croatie. Son portail, de 1240, est un chef d’œuvre de l’art roman. La vue depuis le campanile est, elle aussi, splendide ! J’en profite d’autant plus que je suis tout seul dans le monument…

Arrivée à Split, la ville à remonter le temps

Depuis Trogir, je prends un bus pour Split (40 minutes environ, 21 kunas) où je m’installe à l’hôtel et commence par réserver une excursion aux lacs de Krka pour le lendemain. Il est déjà 18h, je prévois donc de faire juste un petit tour dans la ville avant de dîner, en me disant que je la visiterai correctement plus tard. Mais au bout de quelques pas, je suis déjà soufflé par ce que je vois.

Des arches romaines surplombant des ruelles médiévales, des colonnades grecques jouxtant des églises sans âge, du linge suspendu à des remparts, un sphinx surveillant la place centrale… Split est un livre d’histoire à ciel ouvert, mais sans être une ville-musée : au contraire !

Pour comprendre cette ville, il faut en connaître l’histoire.

La ville de Split s’est développée à l’intérieur du Palais de Dioclétien – construit par l’empereur éponyme au IVe siècle – qui au cours des siècles fut adapté aux besoins de logement de ses habitants et à d’autres fonctions urbaines et civiles. Lorsque les habitants de Salone (qui était la quatrième plus grande colonie romaine au monde, c’est aujourd’hui un site archéologique au nord de Split) au début du VIIe siècle abandonnèrent leur cité à l’arrivée des Slaves, ils s’installèrent, cherchant refuge, sur les îles voisines et dans l’ancien palais impérial – l’empire s’étant effondré en 476. Les édifices du palais furent progressivement remaniés : le Mausolée de l’empereur devint la cathédrale et le Péristyle – espace central du palais – fut transformé en place urbaine. Tout autour naquit une nouvelle ville, remodelant le palais.

A partir du Xe siècle, Split connaît une première expansion hors de l’enceinte du palais ; c’est la « vieille ville hors du palais ». Avec l’apparition du danger ottoman aux XVIe et XVIIe siècles, un nouveau système défensif entoure la cité : les riches familles en profitent pour construire des palais de styles romans, gothiques ou vénitiens. Sous l’administration française (début du XIXe siècle), la plupart de ces fortifications sont démolies et la ville continue depuis à s’étendre.

Cette histoire tumultueuse explique le caractère de la ville, qui semble faite de bric et de broc : où d’autres peut-on voir une arche du IVe siècle s’élancer depuis un bâtiment gothique qui abrite un supermarché Spar ? C’est non seulement beau, mais aussi exaltant.

C’est déjà la fin de l’après-midi lorsque j’arrive, mais j’ai tout de même le temps de visiter quelques éléments importants au cœur du Palais de Dioclétien.

Grâce à sa réutilisation, ce palais romain est l’un des mieux conservés au monde. Sur 38.000m2 environ, il réunissait la résidence impériale, au sud, et des casernes au nord. Une double fonction unique en son genre. En son cœur, le péristyle, centre du palais où se retrouvaient les courtisans. C’est aujourd’hui une place animée – notamment avec le café Lvxor situé dans l’ancien temple de Vénus !

La cathédrale Saint-Domnius s’y trouve. Elle s’est installée, au VIIe siècle, dans le mausolée de l’Empereur (édifié en 316, cinq ans après sa mort). Son campanile, dont la vue est sublime, date lui du XIIe siècle. Deux infos sur cette cathédrale : tout d’abord, le choix de l’installer dans le mausolée est une revanche, Dioclétien ayant mis beaucoup de zèle à persécuter les chrétiens (dont saint Domnius qu’il fit brûler) ; en outre, c’est la plus ancienne cathédrale au monde qui utilise encore son bâtiment d’origine. Ça en jette, non ?

A quelques pas de là se trouve le baptistère Saint-Jean-Baptiste, installé dans l’ancien temple de Jupiter. Son changement d’affectation en fait un des temples romains les mieux conservés au monde… malheureusement c’est aussi un des plus petits. Pas d’effet « waouh » à l’intérieur…

Après cette première découverte de la ville, il est l’heure pour moi de dîner, avant de continuer à déambuler au hasard dans les ruelles. J’allais dire « à l’ombre des palais », mais il fait nuit, donc plutôt « à la lueur des réverbères ». Ce séjour commence très bien !

█ Jour 2 : excursion à Primosten, Sibenik et Krka

Pour cette première vraie journée en Croatie, j’ai réservé une excursion guidée pour aller au parc national de Krka. Je pensais d’abord y aller par mes propres moyens, mais il s’avère que c’est assez galère en bus et le prix du billet d’entrée dans le parc est, en été, exorbitant (200 kunas, contre 30 en basse saison). Vu que le billet est inclus dans le prix des excursions, et en ajoutant le prix du bus (environ 70 kunas l’aller simple) c’est quasiment le même prix d’y aller en groupe (420 kunas), ce qui permet en plus d’avoir un guide et de ne pas s’occuper du transport. C’est d’autant plus une bonne idée qu’avec la chute du nombre de touristes, nous ne sommes qu’un groupe de 7, en minivan. Normalement, c’est 40 dans un car, m’a expliqué le guide.

Premier arrêt : la péninsule de Primosten

On commence par s’arrêter à Primosten, à 35 km de Trogir. Cette charmante presqu’île est typique de la région : pour se protéger des attaques des Ottomans, qui réduisaient les chrétiens en esclavage (ou les éradiquaient), les populations locales se réfugiaient dans des îles et presqu’îles plus facile à défendre. D’ailleurs, les Ottomans n’ont jamais réussi à dépasser la Croatie, où ils ont – Dieu merci – été stoppés en 1593. La Croatie fut d’ailleurs considérée dès 1519 comme l’un des « boucliers de la chrétienté » (Antemurale Christianitatis) par Rome.

Aujourd’hui, ce petit village de 1600 habitants voit surtout passer des touristes (sur le continent, on peut voir une enfilade d’hôtels construits sous Tito). Il est charmant, mais il n’y a pas grand chose à voir, à part son église du XVe siècle dont le cimetière jouit d’un splendide panorama sur la mer.

Deuxième arrêt : la miraculée cité de Sibenik

A 90 km au nord de Split, nous nous arrêtons ensuite dans la ville de Sibenik. Moins connue que Split ou Dubrovnik, et même Zadar, elle est chère au cœur des Croates car c’est la plus ancienne ville qu’ils ont établi : elle date du Xe siècle. « Attends une minute, elle est donc plus jeune que Split ! Pourquoi tu dis que c’est la plus ancienne ? » Tout simplement car les anciennes villes de la côte ont été fondées durant l’Antiquité par les Grecs et les Romains. Sibenik fut la première à l’être officiellement par les Croates, c’est à dire des Slaves qui sont arrivés à partir du VIIe siècle et ont grand-remplacé les Romains.

Sibenik est revenue de loin. 1408 : elle flambe. La municipalité décide de tout reconstruire en pierre – ça n’a pas bougé et c’est depuis resté dans son jus, pour notre plus grand plaisir. Passée sous domination vénitienne, la ville fait fortune avec le commerce du sel. Tout va pour le mieux jusqu’au 8 juin 1649, lorsqu’un vieillard meurt de la peste. Certains commencent à s’inquiéter, surtout que d’autres foyers de contamination apparaissent, mais la plupart des habitants expliquent que non, c’est un hoax de Big Pharma pour nous faire porter des masques, et qu’il n’y a pas de raison d’annuler les fêtes religieuses et les régates prévues. 90% de la populaire passe de vie à trépas.

Passée de 13000 à 1100 habitants, Sibenik tombe un peu dans l’oubli jusqu’à ce qu’en 1895, elle devienne la première ville au monde alimentée par du courant alternatif, grâce à une centrale hydroélectrique construite à Krka par Nikola Tesla (pour l’anecdote, la centrale que Tesla a construite sur les chutes de Niagara fut mise en route deux jours plus tôt, et est donc la première centrale, mais elle n’était pas encore reliée à la ville de Buffalo, qui reçu l’électricité en 1896). La ville renaquit, donc, et devint un grand port et un pôle d’industrie. Mais en 1991, pendant la première guerre de Yougoslavie, les Serbes bombardèrent les usines, qui n’ont jamais redémarré depuis. Concrètement, à part le tourisme, il ne leur reste pas grand chose.

Les touristes, dont je suis, viennent surtout pour visiter la cathédrale Saint-Jacques. Ce bijou gothico-renaissance fut construit sur plus d’un siècle, à partir de 1431, principalement par l’architecte Georges le Dalmate dont la statue est sur le parvis. Elle est tout en pierre, du sol au plafond : aucun ciment ni bois ne fut utilisé à l’époque. D’ailleurs, en 1991, les Serbes firent de gros dégâts en visant la cathédrale à l’artillerie (certains historiens pensent que ce fut fait exprès, pour détruire l’héritage croate) : au moment de la rénover, les ouvriers ne surent pas comment faire tenir les pierres ensemble et durent utiliser du béton.

La cathédrale est superbe, notamment le portail en son flanc, et les 71 sculptures à l’extérieur du chœur : ce sont les visages d’habitants de l’époque ! L’intérieur est joliment décoré, mais plutôt sombre.

Le reste de la ville est très agréable à parcourir. Là aussi, on aime se perdre dans de tortueuses ruelles, grimper des volées de marche en se demandant si on va tomber sur une église, un jardin, un monastère ou une mamie qui fait sécher son linge. La ville est surplombée par une forteresse du XVIe siècle, la forteresse Saint-Michel, mais le billet d’entrée est cher (60 kunas) alors qu’il n’y a rien à y voir, à part le panorama sur la baie. Tant pis.

Troisième arrêt : le parc national de Krka

Après les vieilles pierres, un peu de nature ! On termine par le gros morceau de notre excursion : le parc national de Krka (prononcez « Keurka »), situé à une vingtaine de kilomètres de Sibenik.

D’une superficie de 109km2, ce parc naturel, qui suit principalement la rivière Krka, est le deuxième plus célèbre du pays après celui de Plivitce. Les deux parcs permettent de découvrir le même phénomène géologique qui, si j’ai bien compris, est dû à la calcification des plantes qui crée des barrières naturelles et des sortes de bassin. L’eau érode ces barrières et crée des cascades un peu partout.

La visite de Krka commence pour nous à Lozovac : pendant deux kilomètres, on suit des pontons de bois à travers une végétation abondante surplombant de l’eau tantôt si calme qu’elle en est transparente, tantôt dévalant le dénivelé en cascade. Une bien belle promenade jusqu’au clou du parc : les chutes de Skradinski buk. L’eau descend de multiples gradins jusqu’à un bassin où il est possible de se baigner… pour l’instant. Cela sera interdit à partir du 1er janvier 2021, pour protéger les lieux. D’ailleurs, pour la même raison, un quota a été institué en 2017 : il ne peut y avoir plus de 10.000 personnes à la fois à Skradinski buk. Fort heureusement, on en est aujourd’hui très, très loin.

De toute façon, la baignade n’est pas agréable du tout. C’est hyper glissant et plein de cailloux. Enfin, par 33°, j’en ai quand même un peu profité…

Après quelques heures à me promener dans la zone (d’ailleurs, il reste un morceau de la centrale hydroélectrique de Tesla), je retrouve le guide et les autres membres du groupe et nous repartons vers Split.

Il y a d’autres choses à voir dans le parc (l’île de Visovac, où se trouve un monastère, et les chutes Roski slap), mais il faut pour les voir consacrer la journée à Krka. Il y a par exemple un bateau qui va jusqu’à Roski slap depuis Skradinski buk en 3h30 (durée totale). Ça sera peut être pour une autre fois !

De retour à Split vers 18h30, je continue à m’émerveiller de la ville, avant d’aller dîner, puis continuer à me promener avec des étoiles dans les yeux, et enfin me coucher. Quelle journée !

█ Jour 3 : Des hauteurs de Split à l’île de Hvar

Dernière journée à Split. Je lui loin d’avoir tout vu, mais il faut bien partir un jour ! Avant de prendre le bateau vers Hvar, à 16h, je retourne bien sûr au palais et, cette fois, descend dans ses caves. Elles ont été construites afin que la résidence de l’empereur soit surélevée, pour la protéger de l’humidité et qu’elle soit à niveau avec la partie nord du château. Ce réseau souterrain est parfaitement préservé pour une étrange raison : quand les habitants ont pris possession du palais, ils ont pris l’habitude de balancer leurs gravats et poubelles dans ces caves (plutôt que de les utiliser de manière plus utile). A partir des années 1950, les archéologues ont commencé à déblayer ces 17 siècles de déchets et ont mis au jour 85% des souterrains de l’époque. Ils sont intéressants car ils épousaient parfaitement le plan de la résidence et permettent donc de se rendre compte de sa taille. Par contre, il n’y a rien à y voir. Dommage. Ils pourraient en faire un chouette musée d’archéologie.

En parlant de musées, j’essaye ensuite d’aller visiter celui de la ville, qui est paraît-il très bien, mais il est fermé le dimanche.

A la place, je décide donc de grimper au sommet de la colline Marjan. Sur la route, on croise la petite chapelle Saint-Nicolas, du XIIIe siècle, mais c’est surtout pour la vue que la promenade vaut le coup ! A 178 mètres de hauteur, la vue sur la ville et sur la mer est splendide.

Je redescends ensuite en direction du port, prendre un ferry pour Hvar.

Arrivée à Hvar, le Saint-Tropez de l’Adriatique

Après une heure de trajet, je débarque sur Hvar, qui est le nom de l’île mais aussi de sa ville principale. Je débarque donc à Hvar, sur Hvar. Habitée depuis des millénaires (la ville de Hvar a été fondée par des Grecs en 300 avant Jésus-Christ, mais des Illyriens – les premiers habitants du pays – étaient déjà là), l’île est longue de 68 km et est l’une des plus courues de l’Adriatique. La jet-set s’en est entichée et a fait de Hvar une ville de fête pour riches, genre Beyoncé, Brad Pitt et Bill Gates. C’est Saint-Trop’ sans BB.

La ville a d’autres atouts que ses clubs et ses beach parties. C’est un ancien port très séduisant, avec là aussi des ruelles bordées d’immeubles renaissance et vénitiens. La place centrale – où s’élève la cathédrale Saint-Etienne, du XVIIe siècle – est censée être la deuxième plus grande de l’Adriatique, après la place Saint-Marc de Venise.

Après en avoir fait le tour, je monte jusqu’à la forteresse espagnole, qui surplombe la ville. Elle a été construite à partir du XIIIe siècle mais c’est surtout à partir du XVIe qu’elle a été utile pour protéger la population des attaques des Turcs. Elle s’appelle Forteresse espagnole car des ingénieurs militaires espagnols y travaillaient au XIVe siècle, pas parce qu’elle appartenait à l’Espagne (à l’époque, la ville était dominée par Venise). La vue, en particulier au coucher du soleil, est superbe !

█ Jour 4 : à la découverte de l’île de Hvar

Une journée et demi sur Hvar, c’est bien trop peu. J’ai donc dû faire un choix : passer la journée en bateau pour aller voir des grottes et les malnommées Îles Infernales, un chapelet aux superbes plages situé à quelques encablures de Hvar ; ou bien louer un scooter et partir à la découverte des richesses de Hvar ? J’ai choisi la deuxième option, car je voyage en solo et déjà que je suis pas fan de la plage quand je suis avec du monde, mais alors tout seul sûrement pas.

Ça tombe bien, le temps est couvert – ça n’aurait pas été joli en bateau.

J’enfourche mon destrier et part vers Stari Grad, la deuxième plus grande ville de l’île. C’est souvent le point de chute de ceux qui ne trouvent pas à se loger à Hvar – ou qui simplement veulent un endroit plus calme. La « vieille ville » (traduction de Stari Grad) est très agréable avec ses ruelles ombragées chargées de 2000 ans d’histoire – des mosaïques romaines ont été découvertes sous les pavés.

Le bâtiment le plus important de la ville est le Tvrdalj, une sorte de manoir fortifié construit en 1520 par le poète Petar Hektorović. En son centre se trouve un joli bassin relié à la mer. La demeure est parsemée de citations latines et de memento mori. Citons, au-dessus des latrines (une pièce très rare à l’époque) : « comment peux-tu être fier, sachant qui tu es ? »

En montant sur une petite colline à la sortie de la ville, je me fais doucher par un énorme orage. Je ne suis pas sûr que la vue en valait la peine. D’autant que je subis un autre orage en redescendant.

Trempé jusqu’aux os, je poursuis ma route jusqu’à Vrboska. Entre les deux villes s’étend la plaine agricole d’Ager, qui a conservé les murets de pierre sèche et les parcelles tracées par les Grecs. La culture de la vigne et de l’olivier n’a pas changé depuis 2000, ce qui a valu au site d’être classé au patrimoine mondial de l’Unesco (l’île compte trois autres classements, mais pour du patrimoine immatériel, dont sa nourriture).

Vrboska est un charmant petit port dont le principal point d’intérêt est l’église-forteresse Sainte-Marie, datant du XVe siècle. Ce vaisseau de pierre était à l’origine une simple église qui a été fortifiée après une attaque des Turcs. Dommage, les horaires d’ouverture sont très restreints : 10-12h. J’arrive une heure trop tard.

A quelques kilomètres, je m’arrête à Jelsa que l’on m’a présentée comme « une petite Venise ». En fait, il y a juste une rivière qui traverse le village. C’est joli, mais c’est le cas de millions de villages. Il ne faut pas exagérer non plus. Heureusement, des palais vénitiens rehaussent le tableau, ainsi qu’une église paraît-il octogonale mais qui est fermée.

Je commence à rebrousser chemin vers Hvar en empruntant la vieille route, qui passe en plein centre de l’île, sur les sommets (contrairement à la route principale qui longe la côte). Ça me donne l’occasion d’admirer de superbes panoramas sur l’Adriatique mais aussi de découvrir le village abandonné de Malo Grablje. Son histoire est étrange. Dans les années 1960, tous ses habitants ont décidé de partir s’installer sur la côte (ils ont même déterré leurs morts). A leur départ, aucune propriété n’a été mise en vente et le village est mort. Ce qui est encore plus bizarre, c’est que tous les propriétaires s’appelaient Tudor (le footballeur Igor Tudor a grandi issu) : selon la légende, ils descendraient d’un fils illégitime d’Henri VIII qui aurait fait naufrage sur l’île…

Plus haut sur la route se trouve Velo Grablje, un autre village qui a failli subir le même sort. Mais grâce à des fonds européens et au travail d’une association, il est passé de 5 à 14 habitants ces dernières années. Ce village fondé au XIVe siècle fut à une époque le plus grand producteur de lavande d’Europe.

D’ailleurs, mon arrêt suivant est le village de Brusje. Un arrêt rapide puisque l’endroit est surtout réputé pour ses champs de lavande… qui sont récoltés à la fin juillet. Il n’y a donc rien à voir en ce 24 août mais par chance, en cherchant ma route, je suis tombé sur un monument aux morts de la seconde guerre mondiale datant de l’époque de Tito. C’est très rare en Croatie car la plupart de ce qui rappelle l’époque communiste a été dynamité dans les années 1990, après l’indépendance.

Enfin, je termine ma grande promenade au Fort Napoléon (agrandie sur l’ordre de l’empereur), qui surplombe la ville de Hvar de bien plus haut que la forteresse espagnole. La vue est splendide !

█ Jour 5 : la paisible île de Mljet

Lever matinal pour embarquer sur l’unique bateau quotidien reliant Hvar à l’île de Mljet. Il part à 8h50 et arrive à 10h40 à Mljet, après un court arrêt à Korcula – la ville où serait né Marco Polo. Korcula a l’air splendide également, dommage que je n’ai pas le temps de m’y arrêter.

Mljet est une autre grande île de l’Adriatique (37 km de long et trois de large) mais ne pourrait pas être plus différente de Hvar. Ici, on ne vient pas pour faire la fête mais pour profiter de la nature. L’île est recouverte à 70% de forêt, protégée dans sa partie ouest par un parc naturel ouvert en 1960. C’est la seule île en Adriatique où a été préservée l’ancienne forêt méditerranéenne.

Cette île est habitée depuis fort longtemps. Saint-Paul y fit naufrage en l’an 61 et y passa trois mois, décrivant une île boisée pleine de vipères et de « vertueux barbares ». En 1910, les autorités ont lâchés quelques mangoustes d’Inde pour tenter de lutter contre ces vipères, mais désormais ce sont elles qui ont proliféré et contre lesquelles l’île lutte.

Nous accostons dans le petit port de Pomena, que je dépasse rapidement pour aller déposer mon sac à Polace. C’est un tout petit village d’une centaine d’habitants, logé au fond d’une splendide baie et dont le nom vient des vestiges d’un palais (Polace) romain qui s’y trouvent. Ils datent du IVe ou Ve siècle et sont les troisièmes plus grands vestiges romains du pays !

Je vais ensuite dans la zone la plus touristique de l’île – et considérée comme la plus belle. Il s’agit de deux lacs : un petit relié à un plus grand par un petit canal artificiel, le plus grand étant lui relié à la mer par un petit canal naturel. Cette situation fait que l’eau est salée et se renouvelle très lentement avec la marée (qui dans l’Adriatique n’est pas très grande). Les lacs sont très agréables pour se baigner – l’eau y est à 30° – ou simplement pour se promener autour. C’est juste très dommage que le chemin, qui fait 11km au total, soit goudronné sur sa plus grande part.

Le grand lac est l’un des paysages les plus connus de la Croatie car on y trouve une petite île (une île dans un lac dans une île, donc) avec une chapelle et un monastère du XIIe siècle. Il est possible de s’y rendre en bateau, dont le prix est compris dans le billet d’entrée du parc naturel (125 kunas, sans limite de durée). Une petite promenade sympa, même s’il n’y a pas grand chose à y faire.

Après plusieurs heures de marche tout autour des lacs, j’entame depuis le village de Soline l’ascension vers l’un des sommets de l’île : le Montokuc. 256 mètres d’altitude seulement, mais une vue absolument incroyable sur les lacs ! En fin de journée, alors que le soleil descend sur l’horizon, c’est le paradis des amoureux qui s’bécotent.

█ Jour 6 : heureux qui comme Ulysse…

Après avoir bien marché hier dans le parc naturel (21km selon mon téléphone), j’ai décidé aujourd’hui de partir explorer le reste de l’île. Et quoi de mieux que le vélo pour se promener tranquillement de village en village ?

Très mauvaise idée.

J’ai un peu surestimé mes capacités. Des pentes à 10% sous 30°, ce n’est vraiment pas une partie de plaisir.

Mais j’ai persévéré (et reçu un coup de pouce d’un Croate qui m’a avancé de plusieurs kilomètres en voiture, en mettant mon vélo dans son coffre) pour parcourir les 18 kilomètres entre Polace et la Grotte d’Ulysse.

Selon le récit d’Homère, sur le chemin de son retour à Ithaque, Ulysse a fait naufrage sur l’île d’Ogygie où se trouvait le royaume de « Calypso aux belles boucles, la terrible déesse au langage humain ». Calypso le séduit et le piège dans une grotte de « la plus belle île de tous les mer et les océans ».

Pour les Croates, pas de doute : c’est l’île de Mljet. Et eux d’avancer mille raisons pourquoi. Pour d’autres, la grotte était plutôt située vers les colonnes d’Herakles (détroit de Gibraltar), sur l’actuel Îlot Persil.

Qu’Ulysse soit passé ici ou non (a-t-il vraiment existé ?), l’endroit est à voir : c’est d’une splendeur absolue. Lorsque la grotte apparaît au détour du sentier, une illusion d’optique donne l’impression qu’elle est sous le niveau de la mer. Il n’en est rien : arrivé au bord de l’eau, on remarque un tunnel qui permet de s’y rendre. Obligation de se jeter à l’eau ! La baignade est magique, dans une eau d’un bleu intense et pleine de poissons. L’arrivée dans la grotte est majestueuse, on s’attendrait presque à y trouver un trésor… si des milliers de touristes n’étaient pas passés avant nous.

Après un long moment sur place, à nager et profiter du paysage – et choper des coups de soleil, aïe mon dos ! – je refais les 18 kilomètres en sens inverse. Personne pour m’aider cette fois, mais le dénivelé m’est un peu plus favorable. J’arrive tout de même complètement rincé à Polace, mais trouve la force de marcher jusqu’aux lacs pour un dernier bain avant le dîner.

█ Jour 7 : à la découverte de Dubrovnik

Dernière étape de mon voyage, et non des moindres : Dubrovnik, la perle de l’Adriatique. J’y arrive après 80 minutes de ferry depuis Mljet.

Ville-musée entourée de remparts remarquablement préservés, surplombée par la montagne et les pieds dans les eaux turquoises de l’Adriatique, Dubrovnik est considérée comme l’une des villes les plus belles du monde. Elle est aussi l’une des plus grandes victimes du tourisme de masse, mais en cette période de COVID-19 il se fait moins ressentir.

Je ne vais pas vous faire toute la (longue) histoire de la ville, mais en résumé des habitants du coin se sont réfugiés sur un petit îlot au VIIe siècle pour se protéger des envahisseurs slaves, puis rapidement les populations se sont mélangées et le canal séparant l’île de la côte a été comblé (c’est aujourd’hui la rue Placa). Des remparts ont été construits au XIIe siècle pour protéger la ville des attaques, mais elle est quand même tombée sous la domination de Venise, puis a passé un marché avec les Ottomans quand ils se sont pointés (la ville devait payer un tribut annuel, une sorte de racket pour ne pas se faire envahir). Dubrovnik est alors une ville extrêmement riche, avec sa propre flotte de guerre, mais perd de l’influence à l’arrivée des troupes napoléoniennes. Il faut attendre la seconde moitié du XXe siècle pour qu’elle retrouve de la vigueur en misant sur le tourisme. Tourisme boosté ces dernières années par la série Game of Thrones, qui en a fait King’s Landing (après que l’équipe a quitté Mdina, à Malte, que je vous avais présentée ici).

L’arrivée face à la ville est très impressionnante, surtout que j’ai la bonne idée de m’arrêter en premier lieu à la forteresse Lovrjenac, un fort qui surplombe la vieille ville, perché à 37 mètres de haut sur un rocher. Une vue splendide qui donne vraiment l’impression d’arriver dans une cité figée dans le temps. D’ailleurs, je ne sais pas si c’est à cause de l’état de conservation exceptionnel de la ville, son emplacement entre mer et montagne qui a limité l’étalement urbain, ou simplement les images de Game of Thrones que j’ai en tête, mais plusieurs fois pendant mon séjour j’aurai l’impression de vraiment voir et d’être dans une ville de l’époque. C’est la première fois que ça m’arrive – alors que des vieilles villes, j’en ai vues !

Je passe sous la porte Pile, construite en 1537, et me retrouve dans la vieille ville. Après avoir posé mon sac, la question se pose : comment visiter un endroit où chaque bâtiment, chaque rue, chaque recoin est chargé d’histoire ? J’opte pour ce que j’appelle la « méthode Miyamoto ». Quand j’étais gamin, j’avais lu une interview où Shigeru Miyamoto expliquait qu’il aimait se perdre dans des villes inconnues et que ce n’est qu’une fois qu’il s’y repérait un peu qu’il achetait une carte. C’est pour cela que dans Zelda, on obtient jamais les cartes en début de donjon ! J’ai donc passé plusieurs heures à marcher au hasard dans la vielle ville, m’arrêtant bien sûr dans les monuments les plus importants, mais sans ordre précis : la cathédrale, des églises, des palais…

Bien entendu, je monte et descend la superbe rue Placa, l’artère centrale, maintes fois : elle est le cœur de la ville, reconnaissable à ses pavés lustrés par des millions de visiteurs et à ses maisons toutes identiques – une idée d’un architecte pour sa reconstruction, après le grand séisme de 1667 qui a ravagé la ville. La cathédrale, de style baroque, date de la même époque : celle du XIIe siècle avait été détruite par le tremblement de terre.

Le sublime palais des recteurs, le monastère dominicain, l’église Saint-Blaise… Le nombre de chef d’œuvre architecturaux donne le tournis !

Mais le point d’orgue, c’est bien entendu les remparts. J’attends la fin d’après-midi que le Soleil baisse un peu sur l’horizon pour m’y engager (en payant le tarif réduit, 50 kunas, grâce à la carte de presse : le plein tarif, 200 kunas – 31,50€, est véritablement du vol). Le tour des remparts prend entre une et deux heures et offre des points de vues extraordinaires dans et hors de la ville. On y découvre les ruelles sous un autre angle, les cloîtres et jardins cachés, mais aussi des tourelles et chemins de guet donnant tantôt sur la mer, le port ou l’arrière de la ville, côté montagne. La visite (dans le sens inverse des aiguilles d’une montre) se termine en apothéose avec le fort de Minçeta, le plus haut des remparts, qui permet d’embrasser toute la ville d’un regard.

Après toutes ces émotions, il est grand temps pour moi d’aller dîner… et d’enchaîner avec une nouvelle promenade, cette fois de nuit.

█ Jour 8 : escapade à Kotor et retour à Dubrovnik

J’ai fait aujourd’hui une infidélité à la Croatie avec une excursion au Monténégro voisin. A deux heures de route de Dubrovnik, la baie de Kotor mérite le détour !

En rentrant, puisqu’il est 18 heures et que la lumière est très belle, je décide de monter au sommet du mont Srd, qui culmine à 408 mètres au-dessus de la ville. Un téléphérique permet de s’y rendre en 3 minutes : le tarif est exorbitant (90 kunas – 13€ l’aller simple, 150 l’aller-retour) mais la vue au sommet est spectaculaire. En plus de Dubrovnik, elle permet d’admirer la côte et les îles Elaphites.

A côté de la plateforme d’observation se trouve le Fort impérial, construit par l’armée napoléonienne entre 1806 et 1812. Il protège la ville depuis cette époque. Il abrite aujourd’hui un musée consacré au siège de Dubrovnik, pendant la guerre d’indépendance en 1991-1992.

Pour rappel, en 1991, la Croatie déclare son indépendance de la Yougoslavie (qui regroupait la Serbie, la Slovénie, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, le Monténégro et la Macédoine). Le gouvernement fédéral, sous le contrôle des Serbes, voit ça d’un mauvais œil et décide d’attaquer la Croatie pour la faire rentrer au bercail. Vu que ça ne fonctionne pas, les Serbes de Croatie créent la République serbe de Krajina et tentant de conquérir le maximum de territoire croate.

Les Croates, pour qui c’est une guerre d’indépendance, se défendent tant bien que mal contre l’armée yougoslave, mais la défense de Dubrovnik laisse à désirer. En effet, la ville est classée au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1979, il n’y a pas d’installations militaires sur place et en plus une petite population serbe y vit… Mais en octobre 1991, l’armée fédérale yougoslave (dans les faits, principalement serbe et monténégrine, les autres ayant déserté autant que possible) attaque la ville. 1500 Croates se défendent contre 10 fois plus d’ennemis et le Fort impérial tombe. Les résistants se replient dans la ville et l’armée yougoslave envoie un ultimatum : « rendez-vous ou vous en subirez les conséquences ». Personne n’imagine alors que les « conséquences », ce sera des bombardements d’artillerie sur la vieille ville. Le monde entier assiste médusé à la destruction de ce patrimoine inestimable. Malgré ce pilonnage, la Serbie ne parvient pas à prendre la ville et perd la bataille de l’opinion, le monde prenant le parti de la Croatie. Fin décembre 1991, un cessez-le-feu est signé.

Le musée raconte cette histoire et présente de nombreux objets et documents d’époque. Les vidéos des bombardements sont particulièrement pénibles à regarder, ces destructions n’ayant absolument aucun sens. Au total, sur les 824 bâtiments de la vielle ville, 461 furent endommagés, parfois sévèrement. Le monastère franciscain fut touché par 37 tirs, la rue Placa par 45, les remparts par une quarantaine… En se promenant dans la ville, on peut encore voir des traces de ces destructions, même si la ville a été très bien restaurée (avec des tuiles de Toulouse !).

Après cette visite, je redescends en ville, cette fois par la Serpentine, un sentier qui part du Fort jusqu’à la porte Pile. Avec le coucher de soleil en toile de fond !

█ Jour 9 : derniers pas à Dubrovnik et sur l’île de Lokrum

Pour cette dernière journée à Dubrovnik, je commence par aller visiter le couvent des Dominicains, qui abrite un superbe cloître gothique. On y trouve aussi un petit musée d’art religieux, avec de beaux exemples de l’Ecole de Dubrovnik, et une peinture de Titien représentant Saint Blaise et Marie-Madeleine.

Derrière le couvent, dans le vieux port, j’emprunte un bateau pour l’île de Lokrum, située à quelques encablures de la ville. C’est une zone naturelle protégée très agréable pour s’échapper des vieilles pierres, mais le prix de la traversée est encore une fois très cher : 200 kunas (26,50€). Il inclut les 100 kunas de droit d’entrée sur l’île. A cause du Covid, je ne paye que 140, mais ça fait toujours mal aux fesses.

L’îlot de Lokrum ne fait que 2km2 et est quasiment entièrement recouvert de forêt, à l’exception de l’emplacement d’un ancien monastère. Maximilien d’Autriche s’en était entiché et avait décidé, après avoir acheté l’île, de le transformer en résidence. Il n’y a néanmoins pas grand chose à y voir.

Après avoir un peu marché autour de l’île et grimpé à son sommet coiffé du Fort Royal, je repars à Dubrovnik pour une visite complètement différente.

En cherchant quelques infos sur les lieux de tournage de Game of Thrones, j’ai découvert l’existence de l’Hôtel Belvédère. Le combat entre Oberyn et la Montagne y fut tourné. Ce n’est pourtant pas un palais ou une forteresse médiévale mais un ancien hôtel de luxe, inauguré en 1985 et abandonné en 1991 du fait de la guerre. Depuis, il fait le bonheur des fans d’exploration urbaine et des graffeurs. En me faufilant derrière un grillage, j’arrive à y pénétrer et part à la découverte de ce vaisseau fantôme. Il a été racheté en 2014 par un milliardaire russe qui compte le détruire pour le remplacer par un hôtel 7 étoiles. L’ouverture était prévue pour 2021 mais le projet est pour l’instant à l’arrêt.

Je termine la journée – et même le voyage entier – en me rendant à la forteresse Lovrjenac, où je m’étais arrêté à mon arrivée à Dubrovnik. Il est possible d’y entrer gratuitement en présentant un billet de visite des remparts (dans un délai de trois jours après la visite). La forteresse en elle-même est complètement vide mais mérite la visite grâce à la vue parfaite qu’elle offre sur les remparts. Quoi de mieux pour terminer ce voyage ?

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