Croisière d’une semaine dans le Groenland : entre les icebergs et les aurores boréales, la nature sauvage

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Journal d’une semaine en mer, entre Akureyri et Scoresby Bund, à bord du Hondius. Au cœur du plus grand fjord du monde, nous découvrons une nature sauvage d’une beauté exceptionnelle.

Croisière du 16 au 25 septembre 2019 sur le M/V Hondius, vaisseau amiral d’Oceanwide Expeditions. Réservée via la meilleure agence de voyage du monde (en toute objectivité), Young Pioneer Tours.

█ 17 septembre 2019, l’embarquement

Position : 65° 50.00 N 018° 09.00 W
Vent : Calme
Temps : Nuageux
Température: +5°C

Ça y est, c’est le départ. Partis de Reykjavik en début de matinée, nous arrivons à Akureyri, le plus grand port du nord de l’Islande, en milieu d’après-midi et embarquons directement sur le M/V Hondius. Pas d’embrassades à quai, pas de jeunes femmes agitant leurs mouchoirs, aucune raison de regarder en arrière en montant la rampe d’embarquement : nous récupérons simplement nos badges et allons déposer nos bagages en cabine.

Nous sommes 161 passagers, auxquels s’ajoutent 73 membres d’équipage pour ce qui est la croisière inaugurale du navire vers le Groenland. Parmi ces gens, huit sont dans mon groupe : Gareth, le patron de Young Pioneer Tours, que les fidèles de ce blog connaissent (nous étions au Tibet et en Transnistrie ensemble) ; Calvin, fondateur du blog/agence de voyages Monsoon Diaries (son récit de la croisière est à retrouver ici, en anglais, avec des photos plus belles que les miennes) ; Steven et Elizabeth, de Boston ; Rob, de Southampton ; Gaute et Nina, de Norvège et Killian, de Londres.

Tel Leonardo, je descends mon barda en troisième classe. Façon de parler : le confort est sans doute plus important que celui des passagers de première classe d’il y a un siècle. Dans ces cabines pour quatre, nous disposons de tout le confort nécessaire, d’une grande salle de bain et de deux écoutilles pour admirer les vagues. C’est bien plus confortable qu’un compartiment de train. « Forcément, ils ne sont pas limités par l’espacement des rails », me répond Gaute. Logique. C’est ma première croisière, alors je découvre, ok ?

Ces cabines avec hublot sont les moins chères du navire. Il était aussi possible d’en réserver une pour trois ou deux personnes, ou d’opter pour une véritable chambre sur les ponts supérieurs. Ça coûte très cher et c’est une mauvaise idée : sur un bateau, plus on monte, plus le mouvement des vagues se ressent. Dit plus crûment : les passagers du pont 7 ont tous été malades tandis que nous, les prolos du pont 3, juste au-dessus de la ligne de flottaison, n’avons pas eu de problèmes.

Comme toute croisière, celle-ci commence par un exercice de sécurité. Dès que l’alarme retentit, récupérez votre gilet de sauvetage (celui pour les naufrages, qui est orange, pas le rouge qui est pour les sorties en zodiac ni le bleu pour le kayak), votre combinaison thermique, et rendez-vous près du canot qui vous est attitré. Tout le monde a compris ? Alors, souquez les artimuses, on part !

Alors que le navire glisse lentement en dehors du fjord d’Akureyri, vers le soleil couchant, nous découvrons le navire, avant de monter au salon pour le cocktail de bienvenue donné par le capitaine. Après le dîner et quelques verres en soirée, je me glisse sous la couette, bercé par les vagues et le ronronnement du moteur. La mer est si calme que j’ai presque l’impression d’être dans un train.

Quelques infos sur notre navire :
MV Hondius
Capitaine : Remmert Jan Koster
Longueur : 107,6 mètres
Largeur : 17,6 mètres
Tirage : 5,3 mètres
Classe : Polar class 6
Poids : 5590 tonnes
Vitesse : 15 noeuds
Passagers : 174 dans 82 cabines
Équipage : 70 personnes
Mise à l’eau : 2019

█ 18 septembre, traversée du Détroit du Danemark

Position : 68° 19.10 N 020° 13.30 W
Vent: Nord-est, force 4
Temps : couvert
Température: +2°C

Réveil à 7h45. La mer est calme, aussi calme que possible dans le détroit du Danemark. Nous naviguons à une vitesse moyenne de 12 noeuds à travers le brouillard, sans voir quoi que ce soit, mais un couple de rorquals s’approche suffisamment du navire pour inciter le capitaine à ralentir l’allure, pour que nous profitions de cette rencontre fortuite. Mesurant une vingtaine de mètres, les rorquals peuvent peser jusqu’à 50 tonnes.

La journée est consacrée à des briefings (les règles de sécurité à bord des zodiacs, sur les kayaks, en plongée, les règles de respect de l’environnement…), un cours de photo et une présentation sur le Groenland. Nous avions la possibilité de nous inscrire à des activités optionnelles, le kayak et la plongée (réservée aux plongeurs aguerris), mais je me contenterai du zodiac et de la randonnée.

16h22 : nous croisons nos deux premiers icebergs ! Ces montagnes de glace, nées dans les glaciers du Groenland, en se brisant peuvent dériver vers le sud pendant des années. Il est difficile, en mer, de juger de la taille d’un iceberg, faute d’élément de comparaison, mais ceux que nous voyons doivent faire une bonne vingtaine de mètres de hauteur. C’est la taille de celui qui a coulé le Titanic. En théorie, la technologie s’est améliorée et nous ne risquons rien.

Puis, à 17h15, les côtes du Groenland se dessinent à l’horizon, derrière une ceinture nuageuse. Des sommets enneigés d’un millier de mètres d’altitude plongeant dans une eau grise ; une désolation totale qui me rappelle la côte du Svalbard.

Je profite de cette calme journée en mer pour rappeler quelques chiffres sur le Groenland. C’est la plus grande île du monde, avec une superficie de 2,2 millions de km², ce qui représente quatre fois la France. Eh non, le Groenland ne fait pas la taille de l’Afrique : c’est une idée fausse véhiculée par la projection de Mercator.

Voici ce que ça donne, à titre de comparaison, avec la projection de Mollweide :

81% du Groenland est recouvert d’une calotte glaciaire, qui a une épaisseur moyenne de 1600 mètres. Si elle fondait entièrement, la montée des eaux serait de 7 mètres en moyenne. Adieu Camargue, Everglades et Pays-Bas. Ce qui est inquiétant, c’est que c’est en train de se produire. Y’a un paquet de millions de personnes qui ont intérêt à apprendre à nager.

Outre la calotte glaciaire, l’île compte un peu plus de 20.000 glaciers indépendants et 400.000 km² de zones sans glace, principalement montagneuses. Les zones non glacées sont surtout dans le centre-Ouest et dans le Nord-Est, vers lequel nous nous dirigeons.

Région autonome du Danemark, le Groenland compte 56.000 habitants, dont un tiers vit à Nuuk, la capitale. C’est le territoire le moins densément peuplé du monde.

█ 19 septembre, zodiac à Vikingebugt et randonnée à Danmark Ø

Position : 70° 81.90 N 025°13.30 W
Vent : Calme
Temps: Neige
Température : +1°C

Lever de soleil à 7h03. La luminosité est mauvaise à cause des nuages et de la neige, mais cette dernière cesse rapidement de tomber et le temps devient correct. Le navire jette l’ancre dans une eau à 1°, face à Vikingebugt (la baie des vikings).

Après le petit-déjeuner, nous embarquons dans des zodiacs pour admirer de plus près les icebergs ainsi que d’impressionnantes colonnes de basalte qui zèbrent les falaises. Pour des raisons de sécurité, il est impossible de s’approcher des géants de glace : ce sont, après tout, des glaçons flottant. Le risque qu’ils se brisent est important. Mieux vaut ne pas s’attarder à proximité lorsque 50 tonnes de glaces s’effondrent et que, déséquilibré, l’iceberg se retourne. Les striées que l’on peut voir sur certains d’entre eux sont les différentes lignes de flottaison qu’ils ont connues.

Après deux heures de balade en zodiac, nous remontons à bord et levons l’ancre pour Danmark Ø, une île située à environ deux heures de navigation.

Les passagers sont divisés en groupes en fonction de l’activité qu’ils veulent pratiquer (kayak, plongée, promenade…). Je choisis le groupe « Fast & Furious », dont l’objectif est d’aller toujours plus loin, plus fort, plus vite, jusqu’au bout de l’extrême limite. Concrètement, tandis que les passagers les plus fainéants restent près du rivage, nous allons gravir l’île pour avoir un panorama sur les fjords alentours. Nous sommes encadrés par deux guides armés, en cas de rencontre avec un ours polaire. La zone a été vérifiée avant notre débarquement, mais on ne sait jamais… S’il nous venions à être attaqués, les guides auraient l’obligation d’abattre l’animal, ce que personne ne veut. Les ours polaires ne sont plus que 25.000 environ et les autorités du Canada et du Groenland délivrent environ 800 permis par an pour les chasser, ce qui n’est clairement pas durable, sachant que la chasse à l’ours est officiellement interdite en Russie et qu’il y en a donc sans doute autant qui sont tués.

Mais revenons à notre promenade. L’île, revêtue de ses couleurs d’automne, est d’une beauté extraordinaire – out-of-this-world comme disent les anglophones. Les rares plantes qui survivent ici sont à ras du sol, ce qui donne des paysages sauvages désertiques à couper le souffle. Surtout avec les icebergs en arrière plan. Rarement j’ai eu autant l’impression de fouler une autre planète.

On me demande très souvent « toi qui voyage beaucoup, c’est quoi l’endroit le plus beau que tu as vu ? ». C’était déjà difficile de répondre à cette question, voilà que le Groenland rejoint ma longue réponse.

Après trois heures de marche à un rythme soutenu, dans une température assez douce, nous retournons au bateau pour debriefer la journée avec les spécialistes présents à bord (une océanographe nous explique comment décrypter un iceberg, un géologue la formation des orgues basaltiques…) puis dîner. Je ne l’ai pas encore dit, mais la nourriture à bord est excellente. Au bout d’une semaine à ce tarif, c’est moi qui ressemblera à une baleine.

En soirée, alors que le navire reste sur place (nous aurons juste deux-trois heures de navigation jusqu’au prochain arrêt), un astronome fait une conférence sur les aurores boréales, mais je suis en train de tester l’hôpital du navire et rate ses explications. Rien de bien méchant. C’est un soulagement. Le Groenland est le deuxième pire endroit au monde, après l’Antarctique, pour tomber malade : nous sommes trop loin de tout pour qu’un hélicoptère vienne et il n’y a pas d’hôpital dans les parages (contrairement au Svalbard, par exemple, où il y a aéroport et hôpital). Une urgence ici, c’est synonyme de demi-tour pour tout le monde.

█ 20 septembre, Røde Ø et Harefjord

Position : 70° 28.40 N 028° 04.80 W
Vent : Nord-est – force 2
Temps : légèrement nuageux
Température: -2°C

Quelle journée ! Quelle journée ! Quelle journée !

Dès 7h, la nature nous gratifie d’un superbe lever de soleil sur le fjord et les icebergs vers lesquels pointe le navire. Comme un signe que la journée sera splendide niveau météo et paysages. Le Hondius jette l’ancre à 8h près de Røde Ø où une partie de l’équipage débarque pour inspecter les lieux.

A 9h, nous embarquons par petits groupes sur les zodiacs pour une sortie en mer, autour de ce groupe d’icebergs aux formes et tailles infinies, jusqu’à 30 ou 40 mètres de hauteur. L’air est si pur qu’il est difficile de se faire une idée de leur taille et de leur distance. Un iceberg géant situé à plusieurs kilomètres apparaît aussi clairement qu’un autre plus petit et plus proche.

« Je n’ai jamais vu d’iceberg moche ; si vous en voyez un, faites-moi signe », nous a dit, le premier jour, la photographe de l’équipage, Sandra. Force est de constater qu’il va être très difficile de relever son défi, surtout quand ils sont auréolés de la lumière du matin, sous un ciel pastel. Voici un florilège, avec parfois un zodiac sur l’image pour donner une idée de l’échelle. Oui, c’est massif.

Pendant que les plongeurs les kayakers s’émerveillent autour de ces géants de glace, une partie d’entre nous accoste ensuite sur Røde Ø, la bien nommée « Île rouge ». L’équipage, après avoir vérifié l’absence d’ours, a défini un « périmètre de balade » dans lequel nous pouvons marcher sans danger. Et même nous isoler, plaisir rare.

L’après-midi devait nous voir accoster à Harefjord, « le fjord des lièvres », mais la présence de glace plus importante que prévu nous oblige à ralentir, ce qui signifie que nous n’y arriverons pas à temps pour pouvoir débarquer avant la nuit. A la place de cette sortie, les spécialistes à bord nous proposent des conférences. Je ne vois personne déçu de ce changement de programme. Non qu’on ne voulait pas remettre le pied à terre, mais la vue depuis le pont est d’une telle beauté lors de la remontée du fjord que se plaindre serait obscène.

Toujours à l’affût, l’équipage nous annonce avoir repéré à bâbord un groupe de bœufs musqués, l’une des rares espèces endémiques de la région. Une sorte de vache poilue avec des chaussettes blanches. Leurs poils sont huit fois plus chaud que de la laine de mouton ce qui en fait une cible de choix pour les chasseurs inuits.

Les voici. La photo n’est pas de moi, mais de Pippa, une membre de l’équipe qui avait un appareil photo bien meilleur que le mien (d’ailleurs, tout le monde avait un meilleur appareil que moi sur ce bateau).

Finalement, la météo est telle que lorsque nous arrivons à Harefjord, il est décidé de faire une sortie en zodiac. C’est beaucoup plus rapide à organiser qu’un débarquement, car il n’y a pas besoin de débarquer du matériel de secours (vivres, tentes, réchaud, armés…) au cas où nous resterions coincés à terre. Là encore, c’est absolument superbe. Je n’ai pas pensé à prendre mon dictionnaire de synonyme pour décrire cette beauté, et je ne suis pas poète, je laisse donc les photos parler d’elles-mêmes.

A notre retour à bord, on se dit tous que la journée a été parfaite, sans imaginer le spectacle qui nous attend. A 22h, les personnes intéressées par les étoiles se trouvent sur le pont avec l’astrophysicien du navire lorsqu’une traînée blanche apparaît dans le ciel. Une aurore boréale. Il est à peine 23h et, jusqu’à 2h environ, mère nature va nous présenter le spectacle le plus magique qui soit. Le ciel danse, virevolte, s’enflamme sous nos yeux ébahis, dans une symphonie improvisée, avec quelques moments de répit et de nombreuses séquences de grâce, avant un apothéose : des ondes lumineuses enveloppent les fjords, comme une pluie céleste.

Là encore, les deux photos ne sont pas de moi, mais d’un passager du navire, Frits Hendriks.

J’écrivais hier sur la difficulté, voire l’impossibilité, de répondre à la question : « quel est le plus bel endroit du monde ? ». Je pense avoir ma réponse.

Eduardo, l’astrophysicien du Hondius, nous expliquera plus tard qu’il n’avait jamais vu un tel spectacle à cette l’attitude. Nous avons eu beaucoup de chance.

En parlant d’Eduardo, Gareth a décidé de le faire tourner en bourrique en se faisant passer pour un partisan de la terre plate. « Je ne comprends pas, a-t-il dit. Pourquoi les aurores boréales forment-elles une arche dans le ciel alors que la terre est plate ? Elles devraient être droites aussi, non ? » S’en est suivi une conversation surréaliste, avec un Eduardo expliquant calmement qu’il est important de bien comprendre tout cela, car justement c’est aujourd’hui le 500e anniversaire du tour du monde de Magellan. « Ah oui, celui qui a navigué autour de la Terre en faisant un cercle », a répondu notre Anglais. Plus tard, un membre d’équipage nous expliquera qu’Eduardo a débarqué furax sur le pont en s’exclamant « j’arrive pas à y croire ! Y’a des p****** de partisans de la terre plate sur le navire ! ». La blague durera toute la croisière (avec une victime collatérale, une Américaine qui en les écoutant débattre a commencé à vraiment douter de la rotondité de la Terre).

█ 21 septembre, Hall Bredning et Sydkap

Position : 71° 07.10 N 025° 40.30 W
Vent : Sud-est, force 3
Temps : Ensoleillé
Température: +2°C

La matinée est plus calme. Simple navigation à travers le fjord de la région de Hall Bredning, entre les icebergs. La météo est encore une fois de notre côté. A bord, des conférences pour les uns et une grasse matinée pour beaucoup d’autres.

Nous jetons l’ancre à Sydkap, pour un débarquement. Face à nous, un groupe d’icebergs, certains d’une centaine de mètres de hauteur.

À terre, nous sommes divisés une nouvelle fois en groupes, avec au choix une petite promenade sur la plage, une balade un peu plus haut dans les terres, ou une marche plus musclée pour les motivés. Dont moi. Nous voilà partis pour quasiment cinq heures de marche (10 kilomètres) à travers la toundra, avec pour but d’aller le plus haut possible afin de jouir d’un panorama sur le fjord et sur ces terres vieilles de 60 millions d’années. Je vous disais que l’atmosphère est particulièrement claire au Groenland : nous pouvons voir des montagnes situées à une centaine de kilomètres (tout au fond de la photo à gauche, sous les nuages).

Nous croisons un superbe lièvre blanc, nouvelle preuve que l’Arctique n’est pas complètement une terre désolée. Mais la faune est rare. C’est, pour plusieurs passagers qui se sont déjà rendus en Antarctique, la principale différence entre les deux pôles. Au sud, des pingouins par millions ; au nord, le désert.

De retour à bord, une surprise : l’équipage nous a préparé un barbecue. Mon premier de l’année était au Svalbard, celui-ci sera vraisemblablement le dernier. Nous mangeons, buvons et dansons jusqu’à… pas très tard, car à peine la nuit tombe que des aurores boréales refont leur apparition ! Plutôt que de danser, on admire. Elles sont moins animées qu’hier, mais plus intenses. La magie est toujours là – nous ne sommes pas près de nous lasser d’un tel spectacle.

█ 22 septembre, Hurry Fjord et Ittoqqortoormiit

Position : 70° 37.40 N 002° 27.90 W
Vent : Nord, force 5
Temps : Couvert
Température : +1°C

Après deux jours absolument parfaits, il fallait bien que le vent tourne. Cette journée est un peu plus compliquée. Mauvaise surprise au réveil : les nuages sont bas et le vent souffle avec des rafales jusqu’à 30 noeuds, ce qui rend trop dangereux toute sortie. Nous devions débarquer à Nokkedal, où nous aurions eu l’opportunité de nous baigner sur une belle plage de sable blanc. C’est le « polar splash », une tradition sur les croisières polaires : je ne suis pas mécontent de ne pas avoir à trouver d’excuse pour ne pas me jeter à l’eau…

A la place, nous poursuivons vers Ittoqqortoormiit (« colons aux grandes maisons », en groenlandais), le plus grand village de l’est du Groenland. La météo nous empêche encore de débarquer, mais elle s’améliore un peu au bout de deux heures et nous parvenons finalement à descendre à terre.

Civilisation ! Serait-on tenté de s’écrier après quelques jours en mer. Mais pas vraiment. Ittoqqortoormiit n’est pas vraiment le point le plus animé en temps normal, et en plus nous sommes dimanche. Quasiment tout est fermé, dont l’unique musée du village et le poste de police où je voulais faire tamponner mon passeport.

Ittoqqortoormiit, fondé en 1925 par un Danois et 80 Inuits délocalisés d’un village situé 400 kilomètres plus au nord, soufre d’une désertification importante : l’école ne va que jusqu’au collège et les jeunes doivent ensuite partir en pension à Nuuk, de l’autre côté du Groenland. Une fois là-bas, ils découvrent que la vie ne se limite pas qu’au village et, bien souvent, ne veulent pas revenir. Le nombre de maisons du village en état de délabrement plus ou moins avancé témoigne de ce phénomène. Lors du dernier recensement, en 2013, 452 habitants ont été comptabilisés. Ils sont aujourd’hui moins de 400.

Après quelques heures à errer dans le village, accompagnés par moments d’enfants joueurs et de chiens curieux – et vice-versa – nous remontons à bord pour le dîner. Ami lecteur, tu te dis peut-être qu’il aurait été plus sympa de dîner à terre ; mais il n’y a aucun endroit pour nous accueillir. Le seul restaurant-grill du village fait la taille de mon salon (et je vis en région parisienne).

Avant de débarquer, nous avons reçu des règles claires : interdiction de prendre des photos d’enfants sans l’autorisation d’un adulte, et interdiction de photographier à travers les fenêtres. C’est du bon sens, mais toujours bon à rappeler.

Rien à voir, mais au dîner ce soir, j’ai rencontré un couple d’anglais fans de Doctor Who… assez âgés pour avoir vu la diffusion du tout premier épisode ! Plutôt cool, non ?

█ 23 septembre, Turner Sund

Position : 63° 41.10N 023° 35.20W
Vent : Sud-est, force 4
Temps : Nuageux
Température : +4°C

Le voyage touche à sa fin, et la météo semble avoir définitivement tourné en notre défaveur : rafales de 30 noeuds, pluie battante, brouillard accompagnent notre réveil près de Turner Sund, dans Rømer Fjord. Mais non ! Voilà que les précipitations cessent et que le soleil perce à travers les nuages. Le temps est suffisamment calme pour mettre les zodiacs à l’eau et visiter ce fjord méconnu, où personne ne s’arrête d’habitude car il est presque en permanence dans la tempête. C’est la première fois que nos guides peuvent s’y aventurer : ils sont encore plus excités que nous !

Nous y voyons de beaux points de vue, quelques colonnes de basalte et deux chutes d’eau, ainsi que quelques icebergs. Vu la configuration du fjord et leur taille, difficile de comprendre comment ils sont arrivés là. Nous apercevons quelques phoques et des oiseaux marins (Guillemot à miroir et Eiders à duvet). Mais après 1h30 de zodiac, le vent se lève de nouveau et nous devons rentrer en urgence au navire. Cela nous prend tout de même 30 minutes à pleine puissance. Imaginez nos ancêtres, qui ne s’aventuraient ici qu’à la force de leurs bras, sans notre équipement moderne…

Après le déjeuner, nous reprenons notre route vers l’Islande. Le voyage touche à sa fin ! Mais puisqu’il nous reste encore 36h de navigation, des conférences sont prévues. Pour moi, ça sera d’abord une sieste – le roulis du bateau est comme un bercement continu qui nous rend tous fatigués en permanence (la théorie de mes compagnons est que nous sommes fatigués car nous faisons la fête tous les soirs, mais je suis affecté par la fatigue bien qu’étant beaucoup plus raisonnables qu’eux). Je me réveille au bon moment : d’abord parce que nous croisons un banc d’une quarantaine de baleines à bosse, qui paradent pendant un moment autour du navire, puis parce que je peux assister à une conférence très intéressante sur la bataille du Détroit du Danemark (que nous traversons actuellement), en mai 1941, qui a culminé par l’envoi par le fond du cuirassé allemand Bismarck, le plus grand navire de guerre de l’Histoire.

Parti d’Allemagne le 21 mai, ce behemoth de 56.000 tonnes croise trois jours plus tard le croiseur britannique HMS Hood dans le détroit. Il commence à tirer, un obus perce le pont et explose dans le magasin de munitions. L’explosion tue les 1400 marins du navire sur le coup : seuls trois, éjectés, survivent. Apprenant la nouvelle, Churchill lance un ordre resté célèbre, tenant en trois mots : « Sink the Bismarck » (Coulez le Bismarck). L’ensemble de la flotte britannique se lance à sa poursuite. Soutenant une pluie de torpilles et d’obus, il coule finalement le 27 mai, sabordé par son équipage. Seuls 114 marins et un chat survécurent sur un effectif de plus de 2 200 personnes.

█ 24 septembre, retour à Akureyri

La mer a été un petit peu agitée cette nuit, avec des vagues jusqu’à 4 mètres, suffisamment pour qu’il soit amusant de rester sous la couette tandis que le navire balance, mais sans que ça nous rende malade (sauf au pont 7 ; la docteur du navire a distribué 124 pastilles anti mal de mer pendant le voyage).

A 10h30, nous traversons le cercle polaire puis, à midi, nous voilà au large de l’Islande, en avance sur le planning car la mer a globalement été calme. Nous nous ralentissons donc l’allure pour admirer les baleines.

Les photos suivantes ont aussi été prises par Pippa :

A 14h20, changement de programme : une passagère a fait un malaise et chuté dans l’escalier, se cassant une jambe et se déboîtant l’épaule. Le capitaine décide de naviguer à pleine vitesse vers Akureyri pour qu’elle puisse être évacuée à l’hôpital. Il nous faut néanmoins quelques heures pour y arriver : le dîner est servi alors que nous apercevons les lumières du port à travers des fenêtres, une vue bien différente de celles auxquelles nous avions commencé à nous habituer. Dans son malheur, cette passagère a eu de la chance : si elle avait chuté au milieu du voyage, non seulement nous aurions dû tous faire demi-tour, mais en plus elle aurait dû souffrir sur le bateau pendant deux jours. La docteur m’a raconté l’histoire d’un passager qui, lors d’une expédition en Antarctique, a eu deux doigts sectionnés : il a souffert le martyr pendant les quatre jours de traversée vers Ushuaia. A tel point que les autres passagers, pour qui la croisière a été raccourcie (et dans ce cas, aucun remboursement n’est prévu), ont rapidement cessé de râler quand ils l’ont entendu, lui, pousser des râles de douleur.

C’est donc la fin de notre croisière, un peu plus tôt que prévu. Nous descendons boire un verre à Akureyri (« histoire de dire qu’on a bu un verre à Akureyri ») avant de retrouver le bar du bateau où les prix sont quatre fois moins élevés qu’en Islande (littéralement. 3,25€ la bière sur le bateau, 12€ à Akureyri). Fidèles à la réputation de joyeux drilles que nous nous sommes forgés lors de la croisière, nous prenons possession du lounge jusqu’au bout de la nuit, partageant quelques dernières bouteilles avec quelques passagers et membres d’équipage.

A 7h15, c’est notre dernier petit-déjeuner à bord, avant le débarquement et le retour vers Reykjavik, où nous irons encore boire quelques bières pour debriefer cette aventure. Pour nous tous, ce fut un moment exceptionnel, parfait sur tous les plans. Les paysages incroyables, la météo clémente, l’ambiance au sein du groupe et sur le navire, le luxe du bateau, la diversité des actions… Rendez-vous est pris pour remettre ça. En Antarctique, bien sûr.

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