Plongée en Transnistrie, le pays qui n’existe pas

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« Raison de votre visite ? » Tourisme. « Eh ben, vous aimez sortir des sentiers battus. » 18 juillet 2015, poste frontière de Bender. J’entre pour la troisième fois en Transnistrie, État sécessionniste coincé entre la Moldavie et l’Ukraine.

 Ici, les kopecks arborent encore la faucille et le marteau. Les insignes CCCP surplombent les bâtiments officiels et le drapeau n’a pas changé à la chute de l’URSS. Bienvenue dans un reliquat de la guerre froide.

J’ai découvert la Transnistrie par hasard, en cherchant un endroit où partir en vacances en février. Mes amis de Young Pioneer Tours proposaient un combo Tchernobyl-Transnistrie-Moldavie sur une semaine. Il m’a fallu sortir une carte pour découvrir où c’était. Et encore, sans succès : la Transnistrie, Etat non reconnu par la communauté internationale, n’apparaît sur aucune carte. J’y ai passé trois jours en février (lire ici, et ), avant d’y revenir un weekend de juillet avec Katerina – née et élevée à Tiraspol – jeune femme rencontrée lors de ce premier séjour.

TransnistrianRegionMapPour faire bref, cette bande de terre qui s’étire, tel un Chili-miniature, entre le fleuve Dniestr et la frontière ukrainienne, a été intégrée à ce qui allait devenir la République socialiste soviétique de Moldavie (RSSM) par Staline. L’objectif : diluer le sentiment d’appartenance des Moldaves envers la Roumanie en intégrant à ce nouveau pays une forte composante ukrainienne et russophone.

Lors de l’éclatement de la fédération, les russophones craignent d’être les perdants d’un rapprochement entre la Moldavie et la Roumanie et demandent leur maintien dans l’URSS. L’autonomie territoriale proposée par la Moldavie est refusée et la Transnistrie déclare son indépendance en 1990. Moins de deux ans plus tard, la guerre éclate.

Après quatre mois de conflits, qui se soldent par un bilan de 3500 à 6000 morts (militaires et civils), un cessez-le-feu est signé en juillet 1992. La Transnistrie reste de facto un État indépendant, mais considéré de jure comme partie de la Moldavie. Un accord prévoit que le territoire puisse être rattaché à la Russie dans le cas où la Moldavie réintègrerait la Roumanie.

23 ans plus tard, la situation n’a guerre changé : la Transnistrie est devenu un avant-poste de la Russie dans la région, utilisé pour contrer les tentatives de rapprochement entre la Moldavie et l’Union européenne.

Au centre du parc célébrant le 60e anniversaire de la Révolution d'octobre. Ambiance.

Au centre du parc célébrant le 60e anniversaire de la Révolution d’octobre. Ambiance.

Un parc d’attraction soviétique ?

 Qualifiée de « poudrière de l’Europe » par le journaliste Xavier Deleu, la Transnistrie n’est pas une destination touristique particulièrement recommandée. Le ministère des Affaires étrangères déconseille formellement de s’y rendre et, alors que je me gaussais des contrôles aux frontières, Katerina m’a rétorqué que j’étais dans « une zone de conflit ».

 L’immense majorité de curieux qui pointent à Tiraspol viennent y chercher la sensation de remonter dans le temps, de parcourir un musée soviétique à ciel ouvert.

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 Rien de tel pour cela que de remonter la rue du 25-Octobre (début de la Révolution d’octobre). De la « maison des soviets » (l’hôtel de ville), devant lequel est érigé un buste de Lénine, jusqu’au parlement, devant lequel trône aussi le chef du premier régime communiste de l’Histoire, on y découvre une longue et large avenue parsemée d’emblèmes et de bâtiments soviétiques.

Quelques curiosités peuvent être dénichées, comme un buste de Youri Gagarine ou un monument en hommage au poète Pouchkine, qui a un temps vécu en exil à Chisinau puis à Odessa.

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 On y voit aussi un impressionnant mémorial dédié aux soldats soviétiques tombés pour protéger la ville contre les nazis en 1941 puis pour la libérer en 1944. Les morts de conflits plus récents sont aussi honorés, comme ceux de la guerre d’Afghanistan et bien entendu ceux de la guerre du Dniepr.

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 Bien que Tiraspol soit la deuxième ville de Moldavie, avec environ 130.000 habitants, elle offre peu à voir : culturellement, c’est un désert, et son urbanisme – un paradis soviétique, avec de très nombreux parcs et des appartements pour tous – est devenu un enfer lorsque les immeubles et infrastructures ont commencé à dépérir.

 Pour le plaisir des yeux, on préfèrera la plage, où les sublimes filles de Tiraspol viennent bronzer une fois les beaux jours arrivés. Mais toute tentative de drague risque fort d’être vaine : les jeunes se marient ici très tôt, entre 18 et 20 ans, et assez rapidement. « Au bout de huit mois de relation, ma petite amie m’a demandé si je comptais l’épouser », m’a expliqué Tim, célèbre guide local. « Si je n’avais pas dit oui, elle m’aurait quitté pour chercher un mari plutôt que de perdre son temps avec moi. »

Le gouvernement, qui n'a plus un kopek pour payer ses fonctionnaires, n'hésite tout de même pas à installer des broutilles, comme cette oeuvre "I <3 Tiraspol".

Le gouvernement, qui n’a plus un kopeck pour payer ses fonctionnaires, n’hésite tout de même pas à installer des broutilles, comme cette oeuvre « I <3 Tiraspol ».

 Deux pépites pré-soviétiques

 Entre de rares touristes seulement attirés par Lénine et une situation économique désastreuse, le gouvernement de Transnistrie n’a pas fait de la préservation de ses monuments historiques une priorité. Très dépendant de la Russie, l’Etat – qui dispose de sa propre monnaie, le rouble de Transnistrie – subit de plein fouet la crise économique qui touche la mère patrie. C’est ainsi que les pensions des retraités ont été récemment réduites de 40%.

 Principal symbole historique de Tiraspol, une statue du général Alexandre Souvorov, en centre de l’avenue du 25-Octobre. Il est considéré par la Russie comme le plus grand génie militaire de l’histoire du pays. La statue a été érigée en 1979 à l’occasion du 250e anniversaire de sa naissance. C’est lui qui a fondé la ville en 1792. « J’habite Tiraspol, située sur la rive gauche du fleuve Dniepr. Il y a plus de 200 ans que notre belle ville écoute le murmure monotone et calme de cette historique rivière », apprennent les enfants en cours de français.

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 La Transnistrie abrite tout de même deux monuments parmi les plus importants de la Bessarabie. Ils sont situés en dehors de Tiraspol.

 D’abord, le monastère de Noul Neamţ, situé à quelques kilomètres de Tiraspol. Il s’agit du plus grand et de l’un des plus beaux du pays (découvrez ici mon article sur les monastères moldaves). Contrairement à ceux situés sur la rive occidentale du fleuve, il appartient à l’Eglise orthodoxe de Russie, et non à l’Eglise orthodoxe de Moldavie.

 Le monastère de Noul Neamţ a été fondé en 1861 par un groupe de moines venus du monastère de Neamţ, en Roumanie. Ils se sont installés sur l’emplacement d’un monastère pluri-centenaires, fondé avant l’empire ottoman, puis transformé en mosquée avant de redevenir chrétien. Il a été fermé en 1962 par les soviétiques, qui l’ont transformé en l’hôpital. Le lieu a retrouvé sa vocation première à la chute de l’URSS.

L’institution compte aujourd’hui 21 moines qui vivent en totale autarcie alimentaire.

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Pour l’anecdote, dans le minuscule village de Chiţcani situé à proximité, se trouve un gigantesque buste de Lénine… présenté par Tim comme « le plus grand du monde ». Difficile à dire : y-a-t-il des spécialistes de Lénine dans la salle ?

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L’autre monument est situé sur la seule ville sous contrôle de la Transnistrie située sur la rive droite du Dniepr : Bender (son nom russe) ou Tighina (son nom moldave).

Il s’agit de la forteresse médiévale, l’un des plus importants éléments de défense de la Moldavie médiévale. Construite au XVIe siècle, sur un emplacement qui serait occupé depuis le XIIe siècle, la forteresse constituait un ensemble de 10 bastions et 11 tours, entourés d’un fossé de protection.

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 Faute d’argent et d’intérêt du gouvernement, la forteresse est aujourd’hui plutôt négligée. Quelques légers efforts ont toutefois été fait pour attirer les badauds : la forteresse compte deux minuscules musées et un stand de tir à l’arbalète.

Il faut dire que le monument est situé en plein milieu d’une base de la 14e armée russe -chargée de prévenir toute « invasion » de la Transnistrie par les Moldaves- et est donc difficile d’accès pour les archéologues et historiens.

À part la forteresse, Bender n’a pas un grand intérêt, si ce n’est historique : la majorité des combats de la guerre du Dniepr ont eu lieu ici. L’hôtel de ville, qui était occupé par des snipers, porte encore les marques des tirs utilisés pour les déloger.

 On peut aussi y voir une statue de Lénine dans le parc du même nom ainsi qu’un parc d’attractions plus ou moins abandonné. Comme à Tiraspol, donc ? Oui, comme à Tiraspol.

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 Pour aller plus loin :

– Les photos d’Hélène Veilleux, qui était dans mon groupe lors du séjour de février

– Le compte-rendu de Gareth Johnson, fondateur de Young Pioneer Tours, qui y a vécu un mois cet été

 Infos pratiques :

– Y aller : un passeport suffit. En venant d’Ukraine par le train, il faudra vous enregistrer à votre arrivée à Tiraspol. En arrivant par taxi ou en minibus de Moldavie, il faudra vous enregistrer à la frontière en indiquant où vous dormez (chez un citoyen de Transnistrie, qui doit vous accompagner, ou à l’hôtel). L’entrée est gratuite pour des séjours de moins de 24h… Sachant qu’il est possible d’entrer et de sortir du pays chaque jour pour prolonger son séjour.

– Y loger : il y a quelques hôtels hors de prix, ainsi que l’hôtel Aist, un vestige soviétique semi-abandonné à éviter. Une auberge pour routards est aussi disponible pour les connaisseurs.

– Trouver un guide : envoyez un message à Tim, il se fera un plaisir de vous aider.

Transnistrie

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