Un voyage – uniquement en train et bus – de onze jours à la découverte de l’île la plus méridionale du Japon. De Fukuoka à Kagoshima, en passant par Nagasaki, un Japon plus méconnu, plus calme aussi, à l’ombre des plus grands volcans du pays.
Pour bien la visiter, il faudrait au moins trois semaines. Je n’ai que 11 jours (ce qui est déjà pas mal, vous me direz – plus que ce que les Japonais ont comme vacances pour toute l’année) et accompagne un ami qui, lui, va y rester 20 jours. Nous avons donc organisé notre voyage de telle sorte à ce qu’aucun d’entre nous ne se retrouve à faire des retours en arrière. Pour moi, ça veut dire faire l’impasse sur l’est de l’île (Beppu) et le sud (péninsule de Satsuma et île de Yakushima). Ca sera pour une autre fois !
█ Jour 1 : Visite de Fukuoka, Nanzoin et Dazaifu
Mercredi 4 mars 2020
Normalement, il faut plusieurs jours pour visiter Fukuoka. Il y a beaucoup de choses à faire et à voir (je vous conseille d’ailleurs le blog Bene no Fukuoka, une mine d’information d’une Française qui vit sur place, et son Instagram pour de chouettes photos). Malheureusement, nous sommes arrivés pendant l’épidémie de Covid-19 et beaucoup de lieux étaient fermés : la tour de Fukuoka, tous les musées, etc. La ville compte aussi beaucoup de parcs, mais en cette saison, leur intérêt est très restreint : ni les pruniers ni les cerisiers ne sont en fleur. Nous avons donc visité ce que nous avons pu et raccourci notre séjour. C’est un crève-coeur, car j’ai beaucoup aimé le peu que j’ai vu de cette ville ! Vivante, jolie, à taille humaine… Elle est vraiment chouette.
Le sanctuaire Kushida
Le plus beau sanctuaire de la ville, nous a-t-on dit. Et il était à deux pas de notre hôtel ! Ce fut donc notre première visite, lors de notre arrivée tardive à Fukuoka. J’en ai profité pour tirer un omikuji, un petit papier qui, en début d’année, prédit l’année. Il y a plusieurs niveau de chance, de « daikichi (大吉), la grande chance, à kyô (凶), la malchance. En 2009, j’avais eu une « petite chance ». Cette fois, c’est la grande chance ! L’année devrait donc être très positive pour moi !
Fondé en 757, Kushida est le sanctuaire shinto le plus connu de Fukuoka, et on comprend vite pourquoi. Il est splendide, avec plusieurs petits sanctuaires derrière le bâtiment principal et de nombreux détails à admirer : lanternes, carpes… Il a aussi une allée de (petits) torii. Dédié à la déesse du soleil Amaterasu, au dieu des tempêtes Susanowo et à celui des terres Ôkuninushi, ce sanctuaire est le lieu du plus grand festival de la ville, en juillet. Le char principal que les fidèles promènent est énorme et très impressionnant (en bas à gauche sur le collage de photos) !
Le temple Tôchô-ji et l’avenue Joten-ji
Première précision qui servira pour la suite : quand je parle de sanctuaire, c’est qu’il s’agit d’un lieu de culte shintoïste. Si c’est un temple, alors c’est bouddhiste. Pour les différencier, une bonne astuce (outre leur nom, le suffixe -ji désignant un temple, ou la présence de statues de Bouddha) est de voir s’il y a un torii, ce portail sacré souvent rouge. S’il est présent, c’est un sanctuaire shintoïste.
Le temple Tôchô-ji est visible de loin, grâce à sa pagode à cinq étages. C’est l’un des plus vieux temples de Kyushu, car sa construction remonte à l’an 806 – même si la pagode, elle, ne date que de 2011. Devant elle se trouve un superbe cerisier, mais à cette époque il n’est pas en fleurs, c’est bien dommage. Ce qui m’a le plus marqué dans ce temple est la statue de Bouddha, qui n’est rien de moins que la plus grande statue en bois du Japon : elle fait 16 mètres en comptant le socle. Malgré cette taille, ce qui impressionne c’est l’extrême finesse de la sculpture et son côté apaisé et apaisant. Il est interdit de la prendre en photo, il vous faudra donc y aller… Ou visiter le blog de Bene no Fukuoka, qui a eu le droit de la photographier (et comme ça, vous verrez aussi le cerisier en fleurs).
Non loin de Tôchô-ji, l’avenue Jôten-ji est un véritable retour dans le passé. Cette rue est bordée de plusieurs temples – dont Jôten-ji, réputé pour être le berceau des nouilles soba et udon au Japon – qui sont malheureusement pour la plupart fermés. En jetant un coup d’oeil par dessus les clôtures, il est néanmoins possible d’apprécier les différents temples et leurs jardins zen.
Le temple de Nanzo-in et son bouddha allongé
A 45 minutes en train de Fukuoka, le temple de Nanzo-in est une visite incontournable.
Situé à l’origine sur le mont Koyasan, il fut menacé de destruction en 1886 par les autorités anti-bouddhistes de l’époque et fut donc déménagé ici après dix ans d’efforts. Nanzo-in est le temple principal du pèlerinage Sasaguri, l’un des trois grands pèlerinages japonais. Son intérêt principal est sa statue de bouddha allongé, au seuil de la mort (et donc du nirvâna). Avec ses 41 mètres de long et ses 300 tonnes, c’est l’une des plus grandes statues de bouddha au Japon. Ses cendres sont entreposées à l’intérieur ; cadeau du Myanmar en remerciement pour la fourniture par l’école bouddhiste Shingon de matériel médical pour les enfants de Myanmar et du Népal. Le sanctuaire est grand, avec de nombreuses grottes, des sentiers, des petits temples ou prier… C’est très agréable d’y flâner, en gardant à l’esprit que c’est un lieu de culte : des panneaux sont présents un peu partout pour le rappeler.
Le sanctuaire de Dazaifu
Autre visite indispensable dans la région, celle de Dazaifu. Cette petite ville touristique abrite le sanctuaire Tenman-gû où repose le poète Sugawara no Michizane (9e siècle) déifié après sa mort et vénéré en tant que Tenjin, dieu de la culture.
Depuis le centre des visiteurs, on traverse un pont à trois arches (symbolisant respectivement le passé, le présent et l’avenir) avant d’atteindre le sanctuaire, érigé en 905 et dont le bâtiment actuel date du 17e siècle. Autour du sanctuaire, un jardin comptant 6000 pruniers attire les foules pendant leur floraison, mais nous sommes ici quelques semaines trop tôt. Il y a aussi un musée, avec de nombreux trésors nationaux, mais il est fermé pour cause de coronavirus, comme le petit parc d’attraction situé à côté. C’est également le cas du Komyozen-ji, un temple zen avec un jardin très réputé, que j’aurais beaucoup aimé voir. Toutes ces fermetures font que notre visite à Dazaifu est bien plus courte que prévue – comme notre visite de Fukuoka en général, d’ailleurs. En avance sur notre programme, nous décidons donc de quitter la ville le lendemain.
█ Jour 2 : visite de Yanagawa et de Saga
Depuis notre hôtel, nous marchons jusqu’à la gare de Tenjin en nous arrêtant au jardin Rakusuien – agréable mais tout petit – et au sanctuaire Sumiyoshi, le premier des 2000 sanctuaires du même nom que l’on trouve au Japon. Son bâtiment principal est très vieux (pour le Japon) car il date de 1623. Nous prenons ensuite le train pour Yanagawa.
Yanagawa, la Venise de Kyushu
En 49 minutes de train, nous arrivons à Yanagawa, une petite ville pittoresque parcourue par des canaux. Pendant l’ère Sengoku, ces canaux servaient de douves au château. Et en cas d’attaque, il était possible de fermer des écluses pour inonder la zone et transformer le château en île. Le château a malheureusement brûlé en 1872, mais les canaux sont restés.
Il est possible de s’y promener en gondole mais la floraison des pruniers et cerisiers n’ayant pas eu lieu, nous choisissons de parcourir la ville à pieds (en plus, il ne fait pas très chaud).
Nous commençons par le sanctuaire Mihashira, érigé en 1783, à l’époque Edo. Il a perdu de sa superbe, de nombreux bâtiments ayant été détruits au fil des siècles. Nous poursuivons en longeant des canaux, dont une berge classée parmi les « 100 plus belles rues du Japon » selon un dépliant de l’office du tourisme jusqu’au sanctuaire Hitoshi, puis une zone appelée « Ohana ». C’était la villa du clan Tachibana, qui a régné sur Yanagawa de 1600 à 1868. Derrière une bâtisse de style européen se trouve un superbe hall de réception japonais et un jardin traditionnel. Il y a également un petit musée pour compléter la visite.
Cette visite terminée, nous prenons le bus jusqu’à la ville de Saga. C’est rapide, oui, mais Yanagawa est en fait assez petite. Et s’il doit être sympa de se laisser porter par les gondoles sous les pétales de cerisiers, ce n’est pas vraiment la saison pour cela… D’ailleurs, peut-être à cause du froid, ou de l’épidémie de Covid-19, nous avions un peu l’impression de nous promener dans une ville fantôme… C’est bien dommage ! Cela dit, c’était un endroit très agréable.
Le château de Saga
Nous nous arrêtons à Saga pour visiter le château, ou du moins ce qu’il en reste. Il a la particularité d’être de type hiraijirō, c’est-à-dire qu’il est bâti de plein-pieds en plaine plutôt que sur une colline, et est entouré par un mur plutôt que surélevé sur de fortes fondations en pierre. Le château a été détruit en 1874 (lors de la rébellion de Saga, quand des samouraïs se sont élevés contre le gouvernement de Meiji) et, des bâtiments originaux, il ne reste qu’une entrée. Une partie du bâtiment principal a été reconstruite à partir de 2001 et abrite aujourd’hui le musée du château.
Non loin, nous visitons deux beaux sanctuaires absolument déserts, le sanctuaire de Saga et celui de Matsubara, puis trouvons un hôtel pour passer la nuit ici.
█ Jour 3 : Le sanctuaire de Yotoku Inari (Yotokujinja-mae) et la ville de Takeo onsen
Notre matinée est consacrée à nous rendre, en bus (plus long mais bien moins cher que le train) au sanctuaire de Yotoku Inari, situé à une trentaine de kilomètres au sud de Saga. C’est l’un des lieux les plus célèbres de Kyushu, et pourtant nous sommes seuls dans le bus pendant une bonne partie du trajet… L’effet Covid-19 commence à se faire ressentir.
Le sanctuaire de Yotoku Inari
L’arrivée au sanctuaire se fait dans une ambiance particulière. Une longue allée flanquée de boutiques de souvenirs, sans âme qui vive. De nombreux magasins sont même fermés. Ça me rappelle ma visite à Abou Simbel au lendemain du printemps arabe. Nous avons donc le sanctuaire quasiment pour nous seuls. Et quel sanctuaire !
Il est l’un des trois plus grands sanctuaires consacrés à Inari – l’une des divinités les plus populaires du shintoïsme, associée au riz, à la prosperité et aux renards – avec Fushimi Inari à Kyoto et Toyokawa Inari à Aichi.
Yotoku Inari a été fondé en 1687 et est construit à flanc de montagne, sur de grands piliers, à l’image du temple Kiyomizudera de Kyoto (qui est moins haut que Yotoku Inari).
Au niveau de la vallée se trouve un sanctuaire dédié à l’amour. 117 marches plus haut, le hall principal. De là partent des sentiers serpentant dans la montagne, avec des sections recouvertes de torii, jusqu’à un petit sanctuaire perché au sommet, avec une vue sur la ville de Kashima et sur la mer d’Ariake.
Après avoir largement profité de la beauté du lieu et de sa quiétude, c’est presque à regret que nous reprenons le bus, cette fois pour la ville de Takeo… aussi appelée Takeo-Onsen. Tout un programme !
La ville thermale de Takeo
Avant de profiter de ce pour quoi on est venus, commençons par un peu de spiritualité avec le temple de Takeo, le plus ancien de la préfecture de Saga : il date de 735. Très joli temple, tout blanc – c’est pas commun ! Mais le plus intéressant est derrière : après avoir marché quelques centaines de mètres dans une forêt de bambou, un arbre magnifique apparaît. C’est le Takeo Okusu, l’arbre sacré du temple, un camphrier âgé de plus de 3000 ans. A combien de typhons, guerre et tremblements de terre a-t-il survivre ! 7e arbre le plus grand du Japon, il dégage une aura majestueuse (en haut à droite sur le collage).
Non loin se trouve le Tsukasaki Okusu, un autre arbre multi-millénaire, de 38 mètres de circonférence. Il a perdu une grande partie de son tronc après avoir été frappé par la foudre en 1963.
Il y a dans la région un troisième arbre de 3000 ans, le 5e plus grand du Japon (Kawago Okusu) mais nous n’avons pas de voiture pour y accéder.
Takeo est une ville thermale célèbre depuis 1300. Même le célèbre samouraï Musashi Miyamoto est venu se baigner ici !
L’entrée de la zone thermale est symbolisée par une porte vermeille à deux étages, Romon, construite en 1915. Derrière, il est possible de se baigner dans trois bâtiments : Motoyu, Horaiyu et Saginoyu. Nous découvrons avec grand plaisir qu’il est possible de passer la nuit à l’auberge pour la modique somme de 5000 yens par personne, avec accès à tous les bains. Nous sautons sur cette occasion de passer une nuit traditionnelle !
Takeo possède également plusieurs jardins qui ont l’air splendides (d’après les photos) mais nous ne sommes pas encore au printemps et rien n’est en fleur, ça ne vaut donc pas le coup d’y aller. Autres points d’intérêt que nous n’avons pas eu le temps/l’envie d’aller voir : le temple Kofuku-ji (qui était fermé quand nous sommes arrivés devant et nous avons eu la flemme d’y retourner) et un Musée des sciences et de l’espace.
█ Jour 4 : Arita, la ville de la porcelaine
On ne peut pas être chanceux tout le temps : après la journée splendide d’hier, la pluie fait son apparition. Une pluie fine, froide, triste comme un hiver breton. Elle nous accompagne tout au long de notre visite de Arita, ville où est née la porcelaine japonaise, au 17ème siècle, lorsqu’un potier coréen (Ri Sam Pei) a découvert la pierre kaolin.
On commence par aller à la carrière Izumiyama, qui était à l’origine une montagne… totalement arasée pour la transformer en céramique. La carrière est aujourd’hui vide et est classée monument historique. A côté, un petit musée raconte l’histoire de la porcelaine en ville (officiellement, c’est le musée ethnographique, mais ça ne parle que porcelaine – il y a aussi un Musée de la porcelaine et un Musée de la céramique dans la ville, sans compter des dizaines d’ateliers avec leurs propres zones d’exposition et d’histoire). Il y a aussi un arbre âgé d’un millier d’années environ.
Nous marchons vers la vieille ville où subsistent quelques bâtiments anciens, dont la maison du 5e président de l’entreprise Toto (celle qui fait les toilettes). Très jolie – en plus elle expose les participants à un concours de céramique sur le thème de l’Hina Matsuri, le jour des filles et des poupées qui a lieu le 3 mars et est symbolisé par des poupées du couple impérial. Quelle est votre proposition préférée ?
Nous sommes seuls depuis le matin. Coronavirus, pluie, basse saison… je ne sais pas ce qui joue le plus, mais nous avons l’impression d’être dans une ville abandonnée. Le gardien de la maison Toto avait l’air bien content de nous voir.
Nous passons au sanctuaire Touzan, construit en 1658. Sa particularité est d’avoir un torii en porcelaine (en rénovation), ainsi que des lanternes et statues de la même matière. Un sentier part du sanctuaire et monte jusqu’à un observatoire où, outre une belle vue sur la ville, se trouve un monument à la gloire de Ri Sam Pei, le père de la porcelaine d’Arita. Il a été érigé en 1917, pour le tricentenaire de cette industrie.
Notre visite de la ville s’arrête là, la pluie ayant eu raison de notre humeur – en plus du fait que tout soit fermé. On se pose dans une supérette afin de manger un bout et définir la suite du programme. Imari ? Ça semble assez similaire à Arita, c’est une ville de porcelaine. Ureshino ? C’est assez excentré et c’est une ville thermale comme Takeo. Nous décidons donc de partir directement pour Nagasaki, à environ deux heures de train. Nous y arrivons en fin d’après-midi.
█ Jour 5 : L’île de Hashima et la ville de Nagasaki
Dimanche 8 mars
L’île de Hashima (Gunkanjima)
C’est en arrivant à Nagasaki que je me suis souvenu que cette île se trouvait au large de la ville. Heureusement, grâce au coronavirus, j’ai pu avoir un billet au tout dernier moment pour aller la visiter.
Située à une vingtaine de kilomètres de Nagasaki, l’île de Hashima s’est développée à partir de la fin du 19e siècle après la découverte d’un gisement houiller. Au fil des décennies, les mineurs furent toujours plus nombreux, creusèrent toujours plus bas (jusqu’à un kilomètre sous le fond de la mer !) et firent de l’île une vraie ruche. Elle compta jusqu’à 5300 habitants, avec la densité de population la plus élevée au monde. A l’origine trois fois plus petite qu’actuellement, elle fut agrandie trois fois entre 1899 et 1931 pour accueillir tout ce beau monde. Depuis cette époque, Hashima mesure 480 mètres de longueur pour 160 mètres de largeur, soit 6,3 hectares de superficie. La baisse de l’activité minière provoque le départ des derniers habitants en 1974, qui abandonnent l’île et ses infrastructures aux intempéries. Connue (et visitée) principalement par les amateurs d’exploration urbaine, elle gagne en notoriété en 2012 en apparaissant dans le film Skyfall, et est en 2015 classée au patrimoine mondial de l’Unesco (avec d’autres sites de la révolution industrielle de l’ère Meiji). La ville de Nagasaki, après des décennies où elle fut interdite aux touristes, décide alors enfin de la valoriser.
Aujourd’hui, plusieurs compagnies maritimes proposent de s’y rendre, monnayant entre 4000 et 4500 yens (j’ai payé 4010). La traversée dure environ 50 minutes à travers la superbe baie de Nagasaki, puis on débarque sur l’île pour une visite guidée. Malheureusement, pour des raisons de sécurité (et si y’a bien un peuple qui ne rigole pas avec ça, c’est les Japonais), le chemin balisé – et clôturé – ne fait que longer le bout de l’île. N’espérez pas approcher des bâtiments en ruine et encore moins entrer dedans : on n’est pas à Prypiat ! J’ai vu des amateurs d’urbex écrire sur Google que ces visites n’ont aucun intérêt : si, celui de pouvoir venir sans avoir à soudoyer un pêcheur. Évidemment, la visite est trop courte et frustrante, mais c’est mieux que rien…
En repartant, le bateau fait le tour de l’île pour l’admirer sous plusieurs angles : vue de biais, elle prend la forme d’un cuirassé, ce qui lui vaut son surnom de Gunkanjima (« île navire de guerre »).
La ville de Nagasaki
A mon retour de Gunkanjima, je retrouve mon compagnon de voyage (qui ne voulait pas venir et en a profité pour se promener) et nous partons à la découverte de Nagasaki.
Un peu d’histoire
Cette petite ville (450.000 habitants) très agréable, nichée dans une vallée donnant sur la baie, est chargée d’histoire.
Au milieu du 16e siècle, ce qui était un village isolé vit l’arrivée d’explorateurs européens quand un navire portugais s’échoua accidentellement à Kagoshima. S’ensuivirent des conversions au christianisme et des accords commerciaux et paf, en 1580 le port de Nagasaki et les territoires environnants furent cédés à la Compagnie de Jésus. Dès le 17ème, néanmoins, le shogun s’inquiéta de l’influence des chrétiens et interdisait cette religion, persécutant ses adeptes. Ca n’empêcha pas les Hollandais de commercer avec les Japonais et, quand le Japon se coupa du reste du monde (du 17ème au 19e siècle), Nagasaki resta le seul port ouvert aux navires étrangers. La ville devint donc un centre culturel majeur, avec de nombreux étudiants venant découvrir cette porte sur le monde.
Avance rapide jusqu’au 9 août 1945. Trois jours après avoir atomisé Hiroshima, et alors que les Japonais s’apprêtent à capituler suite à la déclaration de guerre des soviétiques le 8 août, les Américains lâchent une bombe au plutonium sur la ville. Elle explose à 11h02, tuant 75.000 personnes.
Visite rapide de la ville
Notre objectif est bien entendu le mémorial, mais sur la route, nous faisons quelques arrêts intéressants. L’ église catholique d’Ōura, ou église des Vingt-Six-Martyrs, fermée pour cause de virus, est le premier. Mais vu que c’est fermé, c’est aussi le plus court. Tout juste puis-je vous dire qu’elle a été construite peu après l’abandon par les autorités japonaise de la politique d’isolement en 1853.
En marchant le long de la baie, nous tombons sur le mémorial aux 26 saints martyrs du Japon, qui furent crucifiés sur cette colline en 1597. Il s’agissait de de prêtres, religieux et laïcs, franciscains et jésuites. L’église attenante pompe allègrement chez Gaudi. Une statue géante de Bouddha attire notre attention ; nous faisons alors un détour jusqu’au temple Fukusai-ji, datant de 1628 et détruit en 1945. IL a été reconstruit en forme de tortue. C’est très kitsch.
Enfin, nous arrivons au musée de la bombe atomique. Déception : le mémorial aux victimes est fermé. Une décision d’autant moins compréhensible que le musée, lui, est (heureusement) ouvert. Depuis le début de notre séjour, j’ai l’impression que les ouvertures/fermetures de sites et monuments à cause de ce virus est complètement aléatoire. Ce qui est casse-pieds, c’est que les Japonais ont 15 ans de retard en ce qui concerne internet, la plupart des sites des lieux touristiques (quand ils en ont un…) ne sont donc d’aucune utilité, sauf si vous voulez des news qui datent d’il y a deux ans.
Le musée, donc, est ouvert. Il ressemble fortement à celui d’Hiroshima, en plus petit. La première partie montre les dégâts de la bombe au niveau de la ville, avec des murs et citernes d’origine, puis les salles suivantes entrent plus en détail sur le bombardement, les victimes et les dégâts. Âmes sensibles, s’abstenir. La dernière section est consacrée au combat de Nagasaki (avec Hiroshima) pour abolir les armes nucléaires.
Le musée et le mémorial sont construits à quelques mètres de l’hypocentre – c’est à dire de l’endroit précis au-dessus duquel la bombe a explosé. Un mémorial y a été érigé. Non loin s’étend le parc de la Paix, agrémenté de nombreuses statues offertes par des pays étrangers, et de l’imposante statue de la Paix, inaugurée en 1955.
Nous terminons cette journée de manière plus légère, en prenant le téléphérique jusqu’au sommet du mont Inasa. Il offre une vue à 360° sur Nagasaki et sa baie : à la tombée de la nuit, c’est magique ! L’endroit a été classé dans le « top 3 des plus belles vues de nuit, avec Monaco et Hong Kong », a insisté l’enregistrement diffusé dans le téléphérique. Je confirme que c’est très, très beau.
█ Jour 6 : Unzen-onsen et le Mont Unzen
Lundi 9 mars
Journée un peu plus courte aujourd’hui, pour cause de transport assez long. Nous partons de Nagasaki en bus vers le Mont Unzen et sa zone géothermale, Unzen Hell.
Précision pour ceux qui arrivent ici via Google pour organiser leur voyage : le bus pour Unzen part de Nagasaki à 9h10, 13h10 et 16:10 (avec un 4e départ à 14h40 le week-end et les jours fériés). Le trajet dure 1h40 et coûte 1850 yens. C’est très compliqué d’avoir des infos, donc j’espère que ça vous aidera !
Unzen s’est, selon la légende, développée à partir de l’an 701 sous l’impulsion d’un moine de Nara qui en fit une montagne spirituelle (le « Koyasan de l’ouest ») où les femmes n’étaient pas admises. La plupart des sources sont nommées d’après des légendes bouddhistes. Nous comprenons que nous sommes arrivés lorsqu’on nous sentons l’odeur d’œuf pourri caractéristique des sources volcaniques. La ville en est parsemée et entre les hôtels s’étend un paysage de fin du monde.
Après en avoir fait le tour, nous entamons l’ascension vers le col de Nita (Nita Pass), où se trouve un point d’observation. La randonnée (3km environ, 400 mètres de dénivelé positif) est très agréable, bien que nous soyons surpris par la pluie.
Un téléphérique nous attend au point d’observation, pour monter au sommet du mont Myoken, mais le prix et surtout la météo (et donc le rapport vue/prix) nous incite à nous contenter de ce point de vue. On distingue le mont Myoken, la mer, et la coulée de lave se l’éruption de 1991 qui fit 46 morts. Par beau temps, la vue doit être spectaculaire ! Mais bon, on fait avec ce qu’on a…
Nous avons le temps de redescendre à Unzen Onsen – toujours sous la pluie qui redouble d’intensité – afin de prendre le dernier bus (18h16) pour Shimabara, notre arrêt pour la nuit.
█ Jour 7 : Visite de Shimabara et Kumamoto
Mardi 10 mars
La ville de Shimabara
En fait d’arrêt pour la nuit, nous restons un peu plus longtemps car en parcourant un prospectus, je découvre qu’il y a quelques endroits à visiter ici.
Le premier est la rue Shitanocho, la « rue des samouraïs ». Elle est restée dans son jus, depuis l’ère Meiji, avec sa rigole centrale utilisée au quotidien. Le quartier était réservé aux samouraïs de rangs moyens et bas, à qui il était attribué une parcelle de 300 mètres carrés. Il est possible de visiter gratuitement trois maisons. Non loin s’élève le château de Shimabara. Construit en 1624, il fut démoli en 1874. Ce que l’on voit aujourd’hui est une reconstruction des années 1960 : seuls les douves et les murs d’enceinte sont d’origine. Ce château est impressionnant : son tenshu (donjon) compte quatre étages pour une hauteur de 33 m et est relié à deux tenshu secondaires de deux étages chacun. Ils abritent des petits musées.
De l’autre côté de la ville, nous allons voir le mémorial de l’éruption de 1991. Il s’agit de 11 maisons qui ont été ensevelies par la coulée de lave et de cendres et conservées en l’état. Un mini-Pompéi moderne tragique. Un kilomètre plus loin, sur une zone dévastée ayant été reconstruite, le musée consacré à ce désastre semble intéressant, mais il est fermé à cause du coronavirus. Ça commence à nous emmerder cette histoire de virus.
Nous prenons ensuite le ferry pour Kumamoto, de l’autre côté de la mer d’Ariake. Une calme croisière de 60 minutes environs.
Découverte de la ville de Kumamoto
Elle est aussi célèbre pour son château, considéré comme un des trois plus beaux châteaux du Japon, avec celui de Himeji et celui de Matsumoto. Achevé en 1610, il mesure environ 1,6 km d’est en ouest et 1,2 km du nord au sud. Le tenshu (donjon) fait quant à lui 30,3 m de haut. Il a été détruit par un incendie en 1877 et reconstruit, comme beaucoup de châteaux au Japon, dans les années 1960 et le reste du château a été rénové à grands frais jusqu’à son inauguration officielle en 2007. Malheureusement, il a été très fortement endommagé par le séisme de magnitude 7.3 qui a frappé Kumamoto en 2016, faisant 50 morts. Plusieurs tours et murs d’enceinte se sont effondrés et le travail de rénovation est prévu pour s’achever en 2037.
Fin 2019, une allée centrale a été rouverte pour que les visiteurs puissent se rendre face au donjon, mais seulement le dimanche, pour ne pas gêner les travaux. Nous nous contentons donc d’en faire le tour, admirant ce qui peut l’être et espérant le voir un jour terminé.
Nous nous promenons ensuite dans les allées commerciales de Shimotori (511 mètres de long) et Kamitori (360 mètres), histoire de prendre le pouls de la ville. Il est faible, pour cause de coronavirus, mais bat encore !
█ Jour 8 : La ville et le volcan Aso
Mercredi 11 mars
Après un long voyage en bus depuis Kumamoto – la liaison ferroviaire entre les deux villes est coupée depuis le séisme de 2016 et devrait rouvrir à la fin 2020 – nous arrivons en fin de matinée dans la petite ville d’Aso. Elle est située dans la caldera (c’est un dire le cratère ; une caldera est un cratère de plus de deux kilomètres de diamètre) du Mont Aso, un des volcans les plus actifs du Japon. Il y a en fait 17 volcans différents dans la caldera, qui avec ses 25 kilomètres de diamètre est l’une des plus grandes du monde. C’est aussi la caldera la plus densément peuplée de la planète, puisque 50.000 personnes y vivent. Ça peut sembler contre-intuitif : pourquoi aller habiter dans un cratère géant ? Tout simplement car le sol y est extrêmement fertile.
Le principal volcan de la zone est le mont Nakadake, qui est entré en éruption en 2016 et est resté actif depuis – en témoigne le panache de fumée qui le surplombe.
Depuis la gare d’Aso, où nous laissons nos sacs en consigne, nous entamons son ascension à pieds. Ça ne se fait pas vraiment, la quasi-totalité des touristes prenant le bus, mais un peu d’exercice ne fait pas de mal.
La montée est agréable, grâce à un temps beau et doux. Nous passons à proximité du mont Komezuka, un des volcans les plus célèbres du Japon. Avec sa forme parfaite de bol de riz retourné, il est présent sur de nombreuses photos.
2h45 de montée plus tard, nous atteignons les abords du cratère. Enfin, façon de parler : à cause des gaz qu’éjecte le mont, il est interdit (depuis avril 2019) de s’en approcher à moins d’un kilomètre. Nous ne verrons donc pas l’intérieur du cratère, mais à la place nous avons le spectacle extrêmement impressionnant de son éruption – je ne sais pas si on peut vraiment qualifier ça d’éruption, mais disons le spectacle de son activité volcanique. Je comprends pourquoi il est interdit de s’approcher : si le vent tournait, les personnes proches du cratère risqueraient l’asphyxie.
Il y a plusieurs chemins de randonnée dans le secteur, mais le sommet est balayé par un vent glacial. Nous décidons donc de redescendre par un autre chemin, une ancienne route abandonnée semble-t-il, où nous ne croisons pas âme qui vive. Entre la route à moitié mangée par la végétation et la vision du volcan en activité, nous avons l’impression d’être les uniques survivants d’une catastrophe…
De retour à Aso, après 1h30 de descente, nous nous trouvons une chambre pour la nuit et allons nous détendre dans un onsen. Il y en a étonnement assez peu en ville, malgré la proximité du volcan. Puis nous dînons à l’auberge, équipée d’une belle cuisine. Ça change des restos et passages dans les konbinis.
█ Jour 9 : la ville thermale de Kurokawa onsen
Jeudi 12 mars
Mercredi fut une journée de marche, cette fois ce sera vélo ! De bon matin, nous en louons à la gare d’Aso avec pour objectif de rejoindre et visiter la ville de Kurokawa onsen, une des plus importantes villes thermales du pays. Elle est située à 25 kilomètres environ, ce qui ne devrait pas poser de problème particulier aux deux sportifs que nous sommes… d’autant que les vélos que nous louons sont électriques. Mais problème : comme je l’expliquais plus haut, Aso est au fond d’un cratère. Kurokawa onsen est, elle, de l’autre côté. Nous voilà donc à grimper le rebord du cratère, avec un dénivelé de 600 mètres environ, avec des vélos datant du siècle dernier qui pèsent le poids d’un âne mort et dont l’assistance électrique fonctionne de manière très aléatoire. En résumé : on en chie. Vraiment. Il nous fait 2h45 pour parcourir ces 25 kilomètres, sachant qu’en fois sortis du cratère, nous nous sommes retrouvés dans une zone de collines, avec une alternance montées/descentes qui nous a cassé les jambes.
Mais Kurokawa vaut bien cet effort. Cette petite station thermale, qui ne compte pas moins de 25 onsen, n’a pas ménagé ses efforts pour préserver son côté traditionnel. Pas de néons géants et d’hôtels en béton, ici on est plutôt bois et matériaux nobles. Une visite agréable qui doit être particulièrement belle à la nuit tombée, à en juger par les lanternes en papier installées le long de la rivière.
Notre retour est moins difficile, grâce au dénivelé plus favorable. Cela nous permet de profiter un peu plus du paysage, ici de forêt, là de hautes herbes… Celles-ci sont brûlées chaque année à cette période pour apporter des nutriments à la terre. Ça aurait dû être fait le week-end avant notre arrivée, mais l’opération a été repoussée à cause de la pluie. Tant mieux, car pédaler dans un paysage de cendres aurait été moins agréable !
█ Jour 10 : la gorge de Takachiho
Vendredi 13 mars
Pour ce dernier jour dans la région du Mont Aso, nous avons fait appel à Helen, de l’agence Explore Kumamoto, pour une virée vers la ville et la gorge de Takachiho. Elles sont assez difficiles d’accès en transport en commun, c’est donc plus pratiquer de réserver une excursion. D’autant qu’avec une guide, on en apprend beaucoup plus.
Nous partons de Higo-ozu en van jusqu’aux gorges de Takachiho, au sud d’Aso, dans la préfecture de Miyazaki. Préfecture qui a l’air de toute beauté, avec ses petits villages vallonnés et ses champs en terrace.
Cette gorge s’est formée après une éruption du mont Aso il y a 90.000 ans, qui a vu d’énormes quantités de matière pyroclastique se déposer et refroidir rapidement, créant des colonnes de basalt. Il a fallu ensuite des milliers d’années pour que la rivière Gokase se fraye un chemin dans la roche, créant le paysage que l’on connaît aujourd’hui.
La gorge est célébrée par les poètes japonais depuis des siècles. Les visiteurs peuvent aujourd’hui marcher sur sa berge sur un sentier d’environ un kilomètre, jusqu’à la jolie chute Manai, de 17 mètres de haut. Il est possible de s’en approcher en louant (cher) un bateau.
Le village de Takachiho compte aussi un temple célèbre, vieux de 1900 ans. Il est situé dans une clairière en tournée de cèdres japonais, dont l’un a plus de 1000 ans. On y trouve aussi le Meoto Sugi, un « couple » d’arbre dont les racines sont entrelacées. Les couples sont invités à en faire trois fois le tour puis laisser une offrande pour être heureux.
Chaque soir (sauf en ce moment pour cause de coronavirus), l’ancienne danse kagura, destinée aux dieux, est interprétée dans une salle près du temple. C’est aussi ici que chaque année, un sanglier est sacrifié pour apaiser le démon Kihachi, qui il y a fort longtemps tourmentait le village, avant d’être tué (deux fois) par le frère du premier empereur du Japon. Après sa mort, un froid terrible s’abattit sur le village, les habitants décidèrent donc de sacrifier chaque année une jeune fille pour le calmer. A l’ère #metoo, un sanglier, c’est quand même mieux.
Nous reprenons la route pour 15 minutes environ vers deux lieux liés à la déesse la plus importante du Shintoïsme, Amaterasu, la déesse du soleil. Il s’agit du sanctuaire Amano Iwato, divisé en deux. D’abord, le sanctuaire de Nishi-Hongu, la grotte dans laquelle la déesse Amaterasu s’est terrée après s’être fâchée avec son frère, plongeant la terre et les cieux dans l’obscurité. Cette grotte sacrée est interdite d’accès à tout le monde : impossible de savoir à quoi elle ressemble… Plus bas, à 10 minutes de marche sur la berge, sur la berge, se trouve une immense grotte où le dieu et les déesses se réunirent pour discuter de leur stratégie visant à faire sortir Amaterasu de sa cachette. L’endroit est sympa, mais en plein travaux en vue des jeux olympiques – qui au moment de mon voyage n’étaient pas encore reportés. Donc, pas de photos : on y voit surtout des échafaudages.
█ Jour 11 : le volcan Sakurajima et la ville de Kagoshima
Samedi 14 mars
Dernière étape de mon séjour à Kyushu, la ville de Kagoshima, tout au sud de l’île. Elle est surnommée la « Naples japonaise » (et est d’ailleurs jumelée avec Naples) car comme sa consœur italienne, sa baie est surplombée d’un volcan, le Sakurajima.
La presqu’île volcanique de Sakurajima
Il y a environ 29.000 ans, une intense activité volcanique créa la caldera d’Aira, dans la partie nord de la baie de Kagoshima, et libéra des quantités astronomiques de magma dans le sud de Kyushu. Puis, 3.000 ans plus tard, une nouvelle éruption créa, dans cette caldera, un nouveau mont : Sakurajima. Comme son nom l’indique, ce volcan était à l’origine une île (le suffixe -jima désigne les îles en japonais) : il a fallu atteindre 1914 pour qu’une intense éruption comble les quelques kilomètres de baie à l’est du volcan, le reliant à la péninsule en le transformant en presqu’île.
Il est donc possible de rejoindre le volcan par la route, en faisant le grand tour, mais c’est beaucoup plus simple de le faire depuis Kagoshima : tous les quarts d’heure, un ferry s’y rend en 15 minutes environ. C’est donc une excursion très simple à faire. En cherchant des infos sur l’île, j’ai découvert le site Asian Wanderlust, en Français, qui est très complet et joliment écrit : voici ses articles sur Sakurajima et Kagoshima.
En descendant du ferry, mon premier arrêt est le parc des dinosaures. Ne vous attendez pas à des fossiles ou des traces de pas (l’endroit n’a que 26.000 ans, je vous le rappelle), c’est juste un parc avec des statues de dinosaures. Je sais pas trop à quoi je m’attendais, mais j’ai été déçu, ahah (surtout que ça grimpe pour y aller).
Allez donc plutôt directement visiter le sanctuaire Tsukiyomi, situé en face du terminal. Il n’a rien de spécial, si ce n’est qu’il a été déménagé après l’éruption de 1914, le temple d’origine – fondé il y a 1300 ans – ayant été enseveli en même temps que son village.
Je continue ma visite par le centre des visiteurs, qui fait office de petit musée (ouvert, lui) et tient le compte des éruptions du volcan. Il en a connu 133… depuis le début de l’année ! Et nous ne sommes qu’en mars… Et encore, 133 si on compte uniquement les éruptions dites explosives, qui provoquent des petits tremblements de terre. S’y ajoutent 236 éruptions « simples » (si un vulcanologue me lit, je m’excuse pour les raccourcis) lors desquelles le panache a dépassé un kilomètre de hauteur.
Il y a, derrière le centre des visiteurs, une promenade balisée de deux kilomètres environ. Elle offre de belles vues sur la mer, mais à part ça n’a pas un intérêt fou. A son extrémité se trouve une sculpture de lave étrange représentant un chanteur : c’est Tsuyoshi Nagabuchi, qui en 2004 donna un concert ici devant 75.000 personnes, toute la nuit, jusqu’à ce que le soleil apparaisse au-dessus de Sakurajima. En mémoire de cette performance, la sculpture fut inaugurée en 2006.
En suivant la route pendant 8 kilomètres (c’est à dire en deux heures de marche ou en 15 minutes de bus, je choisis la seconde option), on arrive à l’observatoire Yonuhira, qui offre un superbe panorama, d’un côté sur la baie, de l’autre que les deux pics principaux du volcan : Kitadake (au nord, 1117 mètres d’altitude) et Minamidake (au sud, 1069 mètres). D’ailleurs, saviez-vous que l’on peut voir l’âge d’un volcan grâce à ses rides ? Il s’agit des rigoles creusées par l’érosion sur ses flancs : plus elles sont profondes, plus le volcan est âgé. Sachant cela, vous pouvez vous que le pic sud (à droite sur la photo) est plus jeune que le pic nord. Pour comparer, jetez un œil au volcan sur lequel j’ai surfé au Nicaragua, et qui n’a que quelques années…
Sakurajima est le volcan le plus actif du Japon, un périmètre de deux kilomètres autour de son cratère est donc interdit d’accès. Le point d’observation Yunohira est donc le plus proche que l’on puisse être du cratère. Je redescends donc jusqu’au terminal de ferry. Il est possible de visiter l’autre côté de l’île, où l’on trouve notamment un torii quasiment enseveli depuis l’éruption de 1914, mais faute de temps je ne peux pas y aller.
Visite (très) rapide de Kagoshima
Avant de partir, je souhaite en effet voir un peu Kagoshima. C’est une ville extrêmement intéressante pour le Japon au niveau historique, comme Nagasaki. De très nombreuses statues dans le centre-ville mettent en valeur cette histoire.
Le principal musée de la ville est le Musée de la restauration Meiji, du nom de cette fameuse ère qui a suivi l’ère Edo. En – très – résumé, pendant l’ère Edo, le Japon ferme ses frontières et vit en autarcie (à l’exception de Nagasaki, seul port resté ouvert comme on l’a dit plus haut). L’empereur n’a aucun pouvoir et le pays est dirigé d’une main de fer par le shogun. Un beau jour, les Américains débarquent avec des navires de guerre dans la baie de Tokyo et demandent aux Japonais, avec leur tact légendaire : « ouvrez vos frontières et signons un traité commercial, sinon on va voir si vos samouraïs arrivent à arrêter nos boulets de canon ». Le shogunat découvre alors que pendant ses 250 ans d’isolement, le pays a pris du retard au niveau technologique (no shit, Sherlock), ouvre ses frontières et rend le pouvoir à l’empereur. Celui-ci entame une série de réformes énormes en envoyant des délégations aux quatre coins du monde pour voir ce qui se fait ailleurs et l’adapter au Japon. C’est la période Meiji, qui dura de 1868 à 1912.
Quel rapport avec Kagoshima ? Eh bien, l’une de ces réformes a été de démanteler la caste des samouraïs, qui ne servaient plus à rien dans un monde où on se battait à coups de canons et de fusils. Saigo Takamori, un brillant samouraï de Kagoshima (qui pour la petite histoire était anti-shogun, pro-ouverture à l’Occident et participa activement à la restauration Meiji) refusa d’admettre cette déchéance et créa une école privée de samouraïs pour tenir tête à l’armée impériale. L’empereur envoya 70.000 hommes pour calmer cette rébellion et, blessé après la dernière bataille, qui eu lieu à Kagoshima, Saigo Takamori se fit seppuku. Ce suicide rituel acheva de créer sa légende et il est aujourd’hui considéré comme le « Dernier samouraï » du Japon. Rien à voir avec Tom Cruise, donc, même si le film du même nom se base sur l’histoire de Saigo Takamori, star de la ville.
Où en étais-je ? Ah oui, le musée de la restauration Meiji. Je ne le visite pas pour cause de virus mais jette un œil à la maison de samouraï qui survit à côté. Elle ressemble comme deux gouttes d’eau à celles de la rue des samouraïs de Shimabara : normal, elle aussi était destiné à un samouraï de rang inférieur.
Je marche ensuite jusqu’au sanctuaire Terukuni, célèbre pour son énorme torii en pierre et pour son arbre taillé en forme d’oiseau.
Non loin se trouve un joli parc d’où il est possible de grimper au sommet du mont Shiroyama afin de profiter d’une vue superbe sur la ville, avec en toile de fond le mont Sakurajima. Cette belle image est l’une de mes dernières à Kyushu, puisqu’il est ensuite temps pour moi d’aller dîner, avant de prendre tôt le matin l’avion pour Tokyo.
█ Jours 12 à 14 : une ambiance de fin du monde à Tokyo
Vous l’avez vu tout au long de ce récit, mon voyage à Kyushu a été assez peu perturbé par l’épidémie de coronavirus. De nombreux musées fermés, certes, mais pas de problèmes de transport. Nous avons pu nous déplacer sans problème, trouver des hôtels partout, et visiter de multiples lieux sans encombre. Presque comme si de rien n’était. Dans le même temps, nous suivions régulièrement les informations inquiétantes venant d’Italie et de France. L’augmentation du nombre de cas, la décision de fermer les écoles… Ce samedi 15 mars, il est 5h du matin lorsque je me réveille pour prendre le bus pour l’aéroport de Kagoshima. Avec le décalage horaire, il est 21h en France et la fermeture des bars, restaurants, commerces vient d’être annoncée. Des vidéos me parviennent d’abrutis vidant les rayons des supermarchés, des amis me demandent si je vais pouvoir rentrer. Face à cette vision d’une Europe paniquée qui se barricade, et alors que la situation semble totalement sous-contrôle au Japon, je m’interroge : ne vaut-il mieux pas rester ici ? Quelle ironie, alors qu’avant mon départ, tant de gens s’inquiétaient de me voir partir en Asie, si proche de l’épidémie…
À Tokyo, la vie semble continuer. Il y a plus de masques que d’habitude, c’est sûr, moins de monde aussi. Mais faut être déjà venu pour s’en rendre compte, repérer l’absence de touristes chinois ou le fait que si le carrefour de Shibuya est plein de monde, il n’est pas noir de monde.
Je fais le tour de mes quartiers préférés, que je commence à connaître un peu après quatre séjours ici. Asakusa, Akihabara, Shinjuku principalement. Une promenade au sanctuaire Meiji, un coup d’œil à la Skytree… Je me sens un peu coupable de faire le touriste alors qu’en France circule le mot d’ordre « Restez chez vous ». Et ce, bien que des amis me demandent de « continuer à poster des photos pour nous faire rêver » et que d’autres m’incitent désormais explicitement à rester, m’expliquant qu’en France « c’est la guerre ».
Je décide donc de rentrer. Pour plusieurs raisons. D’abord, la plus terre-a-terre : si je reste ici, pour une semaine, deux semaines, et que la France décide de fermer ses frontières et ses aéroports, que pourrai-je faire ? Attendre l’expiration de mon visa ? Demander un rapatriement alors que je me suis mis tout seul dans cette situation ? La seconde raison est plus négative : le virus circule largement, désormais, et même au Japon – où la population estime que s’il y a si peu de cas annoncés, c’est parce que personne n’est testé. Si je tombe malade, ne vaut-il pas mieux que je sois dans un pays dont je connais la langue et le système de santé, plutôt que d’encombrer un hôpital japonais ? « Si je dois choper le virus, ça ne changera pas grand chose que je sois en France ou au Japon », plaisantais-je avant mon départ, à une époque – deux semaines au moment où j’écris ces lignes, une éternité – où l’on pensait que pour les jeunes, ce n’était qu’une « grosse grippe ». Les jeunes, maintenant, représentent une bonne partie des malades en réanimation en France.
C’est avec ces considérations en tête que j’effectue ma dernière promenade à Asakusa, dans un sanctuaire absolument désert. Je sais déjà que mon prochain week-end à Bruxelles, que j’attendais avec une grande impatience, est annulé. Que le week-end suivant, à Lisbonne, est annulé. Que mon prochain gros voyage, prévu en avril au Turkménistan, est annulé. Que je ne pourrai pas rentrer de sitôt en Bretagne voir ma nièce, née pendant ce voyage. Tout cela, vu d’ici, semble surréaliste. En plus, j’ai vidé mon frigo avant de partir. Il va falloir que je fasse de la place dans mon sac pour ramener de la nourriture plutôt que des friandises.
Mardi matin. Je me réveille après une nouvelle allocution du président de la République. Le confinement est décrété ; les frontières sont fermées. Petit moment de stress. Mais non, elles restent ouvertes pour les Français qui souhaitent rentrer. A l’aéroport, c’est le silence absolu. Il en devient oppressant. Les allées sont vides, les écrans signalent une majorité de vols annulés. En tendant mon passeport à l’enregistrement, je demande si mes vols sont maintenus. « Pour l’instant, oui », répond l’hôtesse. Rassurant.
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