Des remparts, des ruelles étroites, une zone tampon où languissent quelques soldats et une atmosphère unique : 25 ans après la chute du mur de Berlin, la capitale de Chypre est la dernière capitale divisée au monde.
Après un petit crochet par le rocher d’Aphrodite, pour le plaisir de se dégourdir les jambes dans un paysage grandiose, nous arrivons à Nicosie en milieu de matinée. Par le sud, donc, c’est-à-dire la partie culturellement grecque de la ville.
Nous commençons par récupérer une carte à l’office de tourisme avant de nous perdre dans la « vieille ville ». Celle-ci est ceinte de remparts vénitiens, balisés de « bastions » qui permettent de facilement se repérer. Les ruelles, d’où émergent parfois une église ou une mosquée, sont agréables… mais une fois encore, ne nous éblouissent pas par leur beauté.
La visite prend une tournure beaucoup plus intéressante lorsqu’on s’approche de la zone tampon, qui coupe la ville en deux. Depuis l’invasion turque de 1974, la partie septentrionale de Nicosie est séparée du reste de la ville par la « ligne verte », une zone démilitarisée contrôlée par les casques bleus, qui serpentent à travers l’île.
A Nicosie, cette ligne dédoublée d’un mur construit par les soldats turcs du côté nord de la zone. Fils barbelés, segments en béton et tours de guet arrentent le visiteur un peu trop curieux. De chaque côté du mur, sur un zone de quelques mètres à plusieurs dizaines de mètres, des bâtiments abandonnés tombent en ruine. Bien souvent, ils portent les stigmates des combats qui ont fait rage ici lors de la guerre civile.
En 2003, les autorités turques ont décidé à la surprise générale d’ouvrir un point de passage avec le sud. Depuis, il en existe sept sur l’île, dont deux à Nicosie, et les Chypriotes peuvent facilement passer d’un bord à l’autre. Les tensions au niveau de la zone tampon se sont donc apaisées et aujourd’hui, les casques bleus semblent tenir les murs plutôt que l’ordre. D’ailleurs, l’un d’eux a à peine bronché lorsqu’il nous a vus débarquer dans une zone interdite, nous disant simplement de faire demi-tour.
Avant de franchir un point de passage pour nous rendre dans la partie nord de la ville, nous allons profiter de l’air climatisé du musée archéologique, le plus important de l’île. Dans une quinzaine de salles, il retrace la longue histoire de la civilisation sur l’île, depuis l’époque préhistorique jusqu’au début de la période chrétienne.
Le musée en lui-même est plutôt défraichi et poussiéreux, mais sa collection comporte quelques pièces exceptionnelles, comme groupe de lions et de sphinx du VIe siècle av-JC ou le Septime Sévère, nu colossal en bronze de plus de deux mètres de haut. Impossible de ne pas citer la statue en marbre d’Aphrodite de Soli (premier siècle av-JC), visage officiel de Chypre sur les affiches touristiques.
Cela va sembler étrange, mais ce qui m’a le plus marqué dans ce musée, ce sont les terres cuites de l’âge du bronze. De loin, on croirait des figurines classiques, vues dans n’importe quel bon musée. Mais en s’en approchant, on découvre des personnages souriants et un style naïf très moderne. Il y a aussi… des moules en forme de personnages, pour faire des figurines ou des gâteaux. C’est particulièrement émouvant et amusant.
Cette visite terminée, nous traversons enfin le point de passage de Ledra Street – un simple passeport suffit – pour nous retrouver instantanément dans une atmosphère radicalement différente.
Le changement est brutal, et plutôt inattendu. Comment deux quartiers d’une même ville ont-ils pu évoluer dans deux directions si radicalement différentes en une trentaine d’années ? Ici, c’est la Turquie : le caractère européen de Ledra Street laisse la place à une véritable médina, où les couleurs, les odeurs, les tenues nous font comprendre qu’on a changé de pays.
Le gouvernement de Chypre du nord a lancé un grand programme de rénovation – financé par l’Union européenne – de certains bâtiments et la visite réserve quelques pépites.
D’abord, le Büyük Han, un majestueux caravansérail ottoman truffé de boutiques d’artisanat et de galeries d’art. Construit en 1572, il a été superbement restauré dans les années 1990.
Citons aussi la magnifique Cathédrale Sainte-Sophie de Nicosie, rebaptisée mosquée Selimiye. Il s’agit d’un édifice élevé au début du XIIIe siècle par des architectes et des maçons français dans le pur style des cathédrales gothiques de France. Elle a été transformée en mosquée lors de l’occupation de Nicosie par les Ottomans (1570) : à cette occasion, deux minarets ont été ajoutés et l’ensemble des décorations intérieures (sculptures, fresques, vitraux…) détruites.
Après une longue balade dans la ville, nous en sortons par le check-point du Palace Ledra, juste en dehors des murs de la vieille Nicosie à l’ouest de la ville. Non loin se trouve un parc surplombant des rues de Nicosie sud : c’était, lorsque la frontière était fermée, le seul endroit où les habitants des deux côtés pouvaient se voir.