Mercredi 6 août
Je voyage beaucoup, ce blog en est la preuve. Lors de mes séjours, certains instants restent plus gravés dans ma mémoire que d’autres : le voyage en train entre le Caire et Louxor, ma première journée au Japon, la visite nocturne à Dimmuborgir…
Alors qu’il est 22h15 ce 6 août et que je m’attelle à la rédaction de ce billet à partir de notes prises toute la journée, je pense ne pas me tromper en disant qu’elle est l’une des plus mémorables que j’ai vécues.
Plus que jamais, le dépaysement a été total. Comme je l’écrivais hier, en plus de l’exotisme géographique, il y a ici un exotisme temporel. Un « exotisme systémique » aussi, tant le pays est unique et paraît complètement anachronique avec son culte de la personnalité poussé à outrance et un totalitarisme à toute épreuve.
Après le petit déjeuner, nous entamons notre marathon de visites par le parc Mansudae, célèbre pour ses très belles fontaines. On peut y voir autour la Grande bibliothèque, le Grand théâtre et le Nouveau théâtre, ainsi que le Parlement, dont les 700 membres sont élus pour quatre ans.
Ici, il nous est possible (mais pas obligatoire) d’acheter un bouquet de fleurs, pour le déposer aux pieds des statues du Président éternel Kim Il Sung (mort en 1994) et du Général Kim Jong Il (mort en 2011).
Les deux statues font partie du Grand Monument Mansudae. Contrairement aux apparences, il ne s’agit pas d’un monument aux morts : la statue du Président Kim Il Sung a été érigée en 1982 à l’occasion de son 70e anniversaire. Anecdote marrante : à l’origine, elle était recouverte d’or, mais la Chine – qui portait l’économie coréenne à coups de subventions – n’aurait pas vraiment apprécié le gaspillage et la statue a été déshabillée.
Celle de Kim Jong Il a été rajoutée en 2012, après sa mort.
Les deux statues sont encadrées de deux ensemble sculptés représentant la lutte anti-japonaise et l’établissement de la République populaire démocratique de Corée (RPDC). 230 personnages y sont représentés.
Alignés sur deux rangées, nous sommes invités à aller déposer nos fleurs devant les statues, avant de revenir à notre place pour les saluer.
De nombreux soldats et étudiants nous ont précédés et nous succèdent. C’est un passage obligé pour toutes les personnes qui visitent la ville et assez fréquent pour les Coréens. Ce que je ne sais pas encore, c’est que nous répéterons ce rituel presque à chaque statue que nous verrons. Et y’en a beaucoup.
Nous reprenons le bus pour le square Kim Il Sung, le cœur de la ville. Il faut savoir que celle-ci à été complètement rasée pendant la guerre de Corée – 400.000 bombes américaines ont été lâchées sur Pyongyang, nous a-t-on maintes fois répété. La ville est donc très jeune.
C’est le Président qui a lancé sa reconstruction, notamment en lançant l’idée d’immeubles d’habitation produits à grande échelle. Ce sont toujours ceux-là que l’on voit aujourd’hui, usés par le passage du temps. L’homme a aussi pu créer une ville à sa démesure, d’où les statues de 20 mètres et les squares immenses.
La librairie vend aussi des souvenirs, ainsi que des posters de propagande peints à la main, mais à des prix exorbitants (45€). D’ailleurs, pour un pays socialiste, ils ont bien appris à pressurer le porte-feuille des touristes… (NB : Avis
aux futurs voyageurs, tous les objets et livres présents dans ce magasin seront ensuite présents dans tous les autres du pays, pour deux fois moins cher).
Ce qui m’intéresse le plus à ce moment se trouve à l’extérieur : une « traffic girl ». Ces demoiselles sont surnommées les « visages de Pyongyang », car seules les plus belles femmes sont aptes à obtenir ce poste. Pendant longtemps, elles ont été le symbole même de l’absurdité du pays, puisqu’il n’y avait pas de trafic. Aujourd’hui, les voitures commencent à faire leur apparition (elles sont offertes par l’Etat aux citoyens méritants), mais on est encore bien loin d’avoir besoin de leurs services.
Cette jeune femme reste imperturbable et continue son travail malgré notre présence et nos photos.
Je profite de cette chance pour me filmer en train de chanter Traffic Girl, d’Indochine. Un ami m’a promis d’envoyer la vidéo à Nicolas Sirkis… Mais le son sera finalement bien trop mauvais pour en faire quelque chose, outre le fait que je chante très mal.
Après cette pause shopping et musique, nous nous rendons à la Grande Salle d’Etude du Peuple. C’est une bibliothèque qui fait aussi université libre : tout citoyen de plus de 17 ans peut venir y assister à des cours.
Le bâtiment, inauguré en 1988, a été construit « dans le style coréen » (je ne veux pas être mauvaise langue, mais bon, ce n’est pas hyper réussi).
Il regroupe – attention messieurs dames ! – 30 millions de livres. Cela ne représente – oui oui – que 9% de la capacité du bâtiment ! C’est fou, non ? Bon, on verra seulement quelques milliers de livres, mais faisons confiance en le monsieur qui nous a fait la visite.
Une centaine de professeurs enseignent ici, dont des profs d’anglais, de chinois, de russe, de japonais et d’allemand. On nous fait assister à un « cours d’anglais ». Ou à ce que les Coréens s’imaginent être un cours d’anglais. Dans le groupe, tout le monde n’est pas d’accord, mais personnellement, j’ai eu la sensation qu’ils ne faisaient même pas l’effort de paraître crédible en « élèves » (certains n’avaient même pas de stylo ou de livre sur leur table !). Par contre, quelqu’un a ouvert une autre porte et est tombé sur un vrai cours de russe.
Le Monument de la fondation du Parti des travailleurs de Corée, que nous visitons après le déjeuner, a été inauguré en 1995. Il représente les trois forces de la nation : l’ouvrier, l’intellectuel et le paysan. Derrière se trouvent des immeubles censés rappeler la forme d’un drapeau flottant au vent. De grosses lettres rouges indiquent « Le parti est victorieux ».
Le Monument de la fondation du Parti ne doit pas être confondu avec la Tour de l’idéologie du Juché. Celle-ci mesure 150 mètres et est surmontée d’une torche de 20 mètres. Elle a aussi été inaugurée en 1982 et compte 25.550 briques, soit le nombre de jours vécus par le Président avant son 70e anniversaire.
C’est la plus haute structure en pierre du monde. Là encore, sa taille et celle des statues qui l’entourent ne peuvent que susciter l’admiration. Oui, je m’y s
uis senti petit, comme rarement.
Pour 5€ (l’euro est la monnaie utilisée par les touristes, qui n’ont pas le droit de posséder de l’argent nord-coréen. Les dollars et yuan sont aussi acceptés), on peut monter en haut de la tour. Cela vaut largement le coup, puisqu’on a là un panorama absolument unique sur Pyongyang.
Expérience très attendue : nous allons prendre le métro ! Et pas une station seulement, comme c’était l’usage pendant longtemps, mais cinq !
Construit à partir de 1972, le métro compte deux lignes et 17 stations, réparties sur 35 kilomètres. Contrairement à la légende, elles existent toutes et il est possible de les emprunter (YPT propose un circuit avec un arrêt à toutes les stations). Le métro fonctionne de 6h à 21h30 ; les bus jusqu’à 23h. Le ticket coûte 5 won nord-coréens (ce qui doit correspondre à une demie cacahouète chez nous). Les taxis sont chers, par contre : 40 centimes d’euros par kilomètre.
Elle se situe au pied de l’Arc de triomphe, construit en 1982 à l’endroit où Kim Il Sung a tenu son premier discours après la libération de Pyongyang (libérée par les Soviets, mais chut).
Je suis déçu : j’avais lu quelque part que l’Arc de triomphe était si grand qu’on pouvait faire tenir son grand frère parisien à l’intérieur. En fait, celui-ci fait seulement trois mètres de plus que le notre. On se consolera en observant que le notre est quand même bien plus beau.
Derrière l’arc, une mosaïque composée de 2,1 milliards de carreaux (et d’une marmotte qui met le chocolat dans le papier d’alu) rappelle le discours tenu là par Kim Il Sung. Y’a même un extrait gravé, où il exhorte le peuple à construire avec lui une Corée démocratique. Ca doit pas vouloir dire la même chose par là-bas.
En fait, c’est un arrêt politico-économique, un moyen de nous dire : « vous avez vu, la Corée s’ouvre, on a fait une joint-venture avec une société autrichienne ».
Après cela, nous allons dîner (oui, ce n’est pas très logique, mais il fallait absolument nous montrer ce café) dans un autre restaurant, avec un autre type de pot au feu. C’est encore une fois très bon et surtout très copieux. Or, ici plus qu’ailleurs, je me sens coupable de ne pas finir mon assiette.
Après le dîner, puisque « beaucoup » (mais qui ? Nous ne le sauront jamais) sont trop fatigués pour aller à la fête foraine, nous nous contentons d’une balade à pieds dans le centre. Vous l’avez sûrement remarqué, j’adore me promener dans une ville la nuit, et Pyongyang ne fait pas exception.
Surtout que nous (3 autres voyageurs et moi) arrivons, en
trainant les bottes pour prendre à des photos, à nous faire distancer et perdre de vue le reste du groupe. Nous voilà en petit comité, avec simplement M. Pak, en plein cœur de la cité.
« Ah, la France… Napoléon est mort à Sainte-Hélène.
– Hum, oui, c’est exact. Mais tu ne sais pas autre chose de ce pays ?
– Si, il a été exilé sur l’île d’Elbe.
– (Tentons une autre approche) Tu connais Français Hollande ?
– La Hollande ? Oui, je connais.
– Euh, non, pas la Hollande. François Hollande. Et Nicolas Sarkozy ?
– Ah, Sarkozy je connais. C’est votre président.
– Presque… »
Hot Pot se traduit en général par fondue.
Pingback: Jour 2 : Visite de Kiev et virée au champ de tir | Les voyages de Morgan