Vendredi 13 février
Qu’est-ce que je suis venu faire en Ukraine ? En fait, je devrais aujourd’hui être en train de préparer mes bagages pour m’envoler pendant près de deux mois aux Etats-Unis (un grand merci à mon employeur de m’avoir accordé cette possibilité). Mais finalement, ce projet est tombé à l’eau (pour cause de rupture sentimentale). Je suis donc allé visiter le site de Young Pioneer Tours, la super agence de voyage avec qui j’ai visité le Tibet et la Corée du Nord, pour voir ce qu’ils proposaient. « Tchernobyl et la Transnistrie ? Ca a l’air chouette. Je réserve. » Tout simplement.
Pour ceux qui ne se souviennent pas, Young Pioneer (YPT pour les intimes), c’est cette agence qui « vous envoie là où votre mère préférerait que vous n’alliez pas » et qui « propose des voyages organisés pour les gens qui détestent les voyages organisés ». Tout ce que j’aime.
Je commence donc cette journée en allant rejoindre mes futurs compagnons de voyage, qui sont descendus dans un autre hôtel. A mon arrivée, Gareth (le patron de YPT, qui était mon guide au Tibet) lance à la cantonade : « on va noyer Morgan dans l’alcool et les femmes. J’étais là quand il a rencontré son ex, je serai là quand il l’oubliera » (cf le premier paragraphe).
Note : lors de la mise en ligne de cet article, un mois plus tard, je réalise que ça a vraiment été le cas. Vous le découvrirez dans quelques jours.
Tout le monde n’est pas encore arrivé : nous serons sept ou huit lors de ce voyage. En attendant, je retourne donc en ville.
Je commence, parce qu’elle est la plus proche de l’hôtel, par visiter la cathédrale Sainte-Sophie. Il s’agit d’un des monuments les plus connus d’Ukraine et du premier site inscrit sur la liste du patrimoine mondial par l’Unesco dans ce pays.
Construite au XIe siècle, elle fait partie des édifices bâtis lors de l’époque dite de la « Rus’ de Kiev ». Il s’agissait d’une principauté née aux environs de 860 et ayant perduré jusqu’aux invasions mongoles du XIIIe siècle.
L’intérêt du site est qu’il n’a quasiment pas été modifié depuis sa construction. Mieux : plusieurs des superbes fresques qui recouvrent ses murs datent de cette époque et sont dans un état de conservation incroyable.
En marchant sur quelques centaines de mètres, on arrive à l’église Saint André, édifiée de 1749 à 1754 selon les plans de l’architecte italien Bartolomeo Rastrelli. Particulièrement photogénique, elle reprend l’architecture traditionnelle religieuse russe, mais avec une touche baroque.
L’église Saint-André ne fait « que » 50 mètres de haut, mais elle est située sur une petite colline dont la descente mène à Podil, un quartier surnommé « le Montmartre de Kiev », qui compte beaucoup d’artistes. Le lieu permet aussi d’avoir un panorama (pas particulièrement beau) sur la ville.
Beaucoup de marchands de souvenirs sont installés devant la chapelle. On peut y acheter des chapkas, des tenues traditionnelles ou, suivant sa sensibilité, des statuettes de Lénine ou d’Hitler. Le papier toilette à l’effigie de Vladimir Poutine semble être très tendance.
L’avenue située face à Saint-André mène au musée national, lui-même voisin du monastère Saint-Michel-au-Dôme-d’Or. Il date du XVIIIe siècle, mais a été détruit par les soviétiques entre 1934 et 1936. Avant cette date, on pensait que la cathédrale datait du XIIe siècle. Or, les historiens soviétiques, après l’avoir étudiée scrupuleusement, se sont rendus compte qu’elle était de style baroque, et donc du XVIIIe siècle (j’ai du mal à comprendre comment, à la base, les gens avaient réussi à se trouver de six siècles dans leur estimation, mais bon). De ce fait, ils ont décrété qu’elle n’avait aucun intérêt historique et méritait un bon coup de bulldozer.
Le monastère a été reconstruit après l’indépendance de l’Ukraine et la cathédrale fut inaugurée en 1999. Aujourd’hui, elle ressemble donc à cela (les photos sont aussi interdites à l’intérieur) :
Retour ensuite sur la place de l’Indépendance, plus agitée qu’hier soir, notamment par des casse-couilles quêteurs dont l’excuse pour taxer les étrangers est : « je collectionne les monnaies d’autres pays, mais j’ai déjà les centimes : t’as pas une pièce d’un euro ? »
Près de la place, dominant la Dniepr, se trouve l’Arche de l’Amitié, aussi appelée L’Arc-en-ciel (et vice-versa). Elle a été construite en 1954 pour célébrer le 300e anniversaire du traité de Pereïaslav (1654), qui symbolise l’amitié entre le peuple ukrainien et le peuple russe.
Aujourd’hui, c’est un lieu où les amoureux aiment se retrouver pour regarder la rivière.
Quitte à être là, je vais jeter un oeil au stade du Dynamo Kiev, qui jouera dans quelques jours contre l’En Avant de Guingamp.
Je rentre ensuite à l’hôtel, en en profitant pour prendre le métro. Il ne coûte rien (4UAH) et a un côté vintage qui me rappelle le métro de Pyongyang.
Nous partons à quatre dans un taxi, en route vers un stand de tir situé je-ne-sais-où dans une forêt. Le trajet nous permet de faire un peu connaissance : Alistair sera, avec Gareth, notre guide pour le voyage. Il est Ecossais, bosse dans la production de spectacles à Cuba et aide YPT de temps en temps (il est notamment guide pour les séjours qu’ils organisent à Cuba. D’ailleurs, je compte y aller en novembre). Liam bosse au nord-Soudan pour l’ambassade anglaise : il est chargé de transformer des miliciens en soldats réguliers (si j’ai bien compris). Jeremy est néo-zélandais et bosse dans les dispositifs médicaux, mais ne restera avec nous que pour quelques jours.
En arrivant au stand de tir, nous laissons tomber la paperasse et passons directement aux choses sérieuses. D’abord l’AK47, la fameuse Kalachnikov. Le recul surprend au premier tir, mais on s’y habitue. Mon score est pas trop mal, alors que la cible est à 50 mètres – je tire habituellement à 25 mètres. Par contre, impossible de tirer en rafale : c’est interdit en Ukraine (oui oui). On fait donc du coup par coup.
Ensuite, le Mosin-Nagant, le fusil russe mythique. Quelle bête ! À chaque tir, la crosse me mange l’épaule. Mais mettre la main sur cette relique a quelque chose d’émouvant. Le modèle que nous testons est celui utilisé par l’armée soviétique de 1930 à 1945.
Après notre petit barouf, alors qu’on boit une bière en attendant le taxi, un type nous fait signe de le suivre dans un bâtiment adjacent. « This is Maxim », nous dit-il en entrant dans le bâtiment et en nous montrant un coin. Je m’attends à voir un chien appelé Maxim, innocent comme je suis. Mais c’est en fait une putain de mitrailleuse Maxim, l’arme qui a grosso-modo permet à l’Europe de coloniser l’Afrique sans perdre de soldats et qui a ensuite été utilisée pendant la Première guerre mondiale. Qu’est-ce que ça fout là, je préfère ne pas le savoir.
Autre monstre posé sur une table, au milieu d’une dizaine de kalachnikov : une arme portative anti-char. Notre hôte nous montre aussi une pile d’épées, poignards et baïonnettes, avec des spécimens de 600 ans d’âge.
Euh, c’est quoi cet endroit ? « C’est ici que nous éduquons les enfants. » Les enfants ?! Avec un putain de lance-roquettes ? « Oui, on leur parle de l’Ukraine, de patriotisme. On leur apprend à manier des armes. » Ah. Ambiance.
Il est temps pour nous de repartir. Sergueï (c’est le nom du bonhomme) me laisse une carte avec son numéro de téléphone, au cas où j’aurais besoin « de quoi que ce soit ». Euh, ouais, un taxi ?
Arrivé à l’hôtel, nous rencontrons le reste de notre groupe et nous rendons directement dans un bar.
Notre point de chute de la soirée s’appelle The Hospital et est l’un des bars préférés de Gareth. Il devient aussi l’un de mes bars préférés quand je vois que les serveuses sont habillées en tenues très courtes d’infirmières et bas résilles.
Note : Malgré le déroulement chaotique de la soirée, j’ai continué à prendre des notes jusqu’à la fin. Ca a été particulièrement drôle de les retrouver en éditant ce billet, mais la décence m’oblige à vous livrer un récit partiellement censuré de la soirée.
Tout a commencé très bien, mais j’aurais dû me douter que c’était un endroit dangereux, quand j’ai vu que la bouteille de vodka ne coûtait que quelques euros.
Peu après notre arrivée, je me suis retrouvé affublé d’un casque et d’une veste ignifugée, pour une sorte de rituel sans queue ni tête où l’objectif était de boire trois cocktail.
Un peu plus tard, c’est Alistair qui est victime d’un rituel étrange : alors qu’il est tranquillement debout en train de causer, il se fait empoigner par des serveurs qui lui mettent une camisole de force avant de l’allonger sur une table. Une infirmière lui fait alors ingurgiter un cocktail inconnu avec une seringue géante.
Le pire, c’est que ça a failli être moi : quelques minutes avant, un serveur avait demandé « c’est qui l’Ecossais ? ». Quelqu’un avait répondu, en me pointant du doigt : « lui est breton, c’est pareil. »
Bon, ensuite ça devient flou, mais en gros, quelqu’un m’a présenté une fille en me disant : « Morgan, c’est la Saint-Valentin, je te présente Machine » (je ne me souviens pas de son prénom).
Puis, bien plus tard, Liam m’a arraché des griffes de cette même fille en me disant « tu me remercieras demain ». J’ai eu beau protester sur le coup que « tu fais chier, elle était mignonne », finalement, il avait raison. Et je l’ai remercié.