Corée du Nord, jour 5 : Visite d’usines (réelles ou non ?), barrage et plage à Nampo

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Samedi 9 août

Après les excès de la nuit, le réveil est dur, mais heureusement ça ne résonne pas trop dans ma tête. Nous nous rendons aujourd’hui à Nampo, une ville portuaire située sur la mer Jaune, à 55 km à l’ouest de Pyongyang.

Wir fahren fahren fahren auf der Autobahn

Wir fahren fahren fahren auf der Autobahn

Nous commençons la journée par une visite de l’usine d’eau gazeuse naturelle Kangso, la plus célèbre de Corée du Nord.

Ce qu’on nous annonce : une production de 80.000 bouteilles en verre la nuit et de 40.000 bouteilles en plastique la journée, avec 110 employés travaillant sur le site.

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Ce qu’on voit : 11 personnes qui ne font strictement rien, regardent passer quelques bouteilles et semblent s’y intéresser que lorsqu’on se tourne vers eux. C’est sans doute le job d’usine le plus cool qui soit.

La partie « bouteille en verre » est si vide qu’on se croirait un 15 août dans une administration française. On notera aussi qu’il n’y a pas le moindre camion qui part de l’usine, ni aucun vélo devant.

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En tout, pendant la grosse demie-heure de notre visite, l’incroyable nombre de 2 cartons de bouteilles ont été préparés. Alors soit on s’est fichu de nous, soit c’est l’usine la moins productive qui soit.

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Après cette séquence « Fake?! Why do you think it was fake? » (merci Rowan), nous nous rendons au complexe industriel de Chollima.

Note : apparemment, nous sommes une minorité à penser que c’était une fausse usine ; l’opinion majoritaire étant qu’ils produisent un peu de bouteilles, mais pas les chiffres annoncés.

Interlude « question à Mlle Pang », comme promis hier :
« Admettons qu’un visiteur arrive en Corée et tombe follement amoureux qu’un ou une Coréen(ne), peut-il l’épouser ?
– Oui, bien sûr !

– Ca se passe comment ?
– Je ne sais pas, je ne l’ai jamais fait (rire). »

Réponse de Rowan, dix minutes après : « Oui, théoriquement tu peux épouser une nord-coréenne, avec beaucoup de chance, si tu es pote avec un haut dignitaire du régime. »

Je pense en tout cas que ça ferait un bon film d’amour et de propagande : il était une fois un impérialiste américain qui tomba sur le charme d’une jolie camarade du Juché. Il décida de l’épouser, embrassant par la même occasion l’idéal socialiste et dédiant sa vie à la réunification de la Corée.

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Vu sur le bas-côté, des gens qui travaillent.

Vu sur le bas-côté, des gens qui travaillent.

Après l’eau minérale, passons aux flammes, aux muscles et à la sueur, avec le complexe industriel Chomilla, qui produit du fer.

La visite est impressionnante, on se croirait dans un décor de cinéma. Ce qui n’est pas un compliment : « ils nous font visiter ça dans l’espoir de nous montrer de quoi ils sont capables, mais tout ce que ça montre, c’est l’époque à laquelle ils se sont arrêtés », résume l’allemand Stephan.

L’usine a été créé en 1945, quelques semaines après la libération du pays de l’occupation japonaise. « Les ouvriers de cette usine sont les piliers du nouveau pays », a déclaré Kim Il Sung en leur rendant visite (on peut voir le caillou sur lequel il s’est assis) lors des travaux de construction.

Une mosaïque rappelant la première d'une longue série de visite de Kim 1er.

Une mosaïque rappelant la première d’une longue série de visite de Kim 1er.

La pierre où il a posé ses délicates fesses.

La pierre où il a posé ses délicates fesses.

Détruite pendant la guerre de Corée, l’usine a été très rapidement (45 jours) remise en marche après l’armistice. Pour motiver les travailleurs, on leur disait que s’ils dépassaient les prévisions de production, le Président allait passer les voir. Ils en sont arrivé à produire, en 1960, 12.000 tonnes de charbon par an, alors que l’usine avait une capacité de production de 6.000. C’est ce que nous dit notre guide, alors ne le prenez pas pour argent comptant, hein.

Combien de tonnes produisent-ils aujourd’hui ? Combien d’ouvriers travaillent ici ? Des détails sans importance qu’on ne nous indiquera pas. Par contre, sachez que Kim Il Sung s’est tenu 47 fois à l’entrée de l’usine, 20 fois au cœur du complexe en lui-même, et deux fois dans le musée qui retrace l’histoire de l’usine. C’est super intéressant, les visites guidées en Corée.

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Le site par contre l’est vraiment, intéressant. D’autant que nous sommes chanceux d’avoir pu y aller, car il est peu ouvert aux touristes.

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L’atmosphère est enfumée, les lieux très bruyants et les travailleurs en sueur, parfois perchés à plusieurs mètres au-dessus du sol. A mon avis, ils n’ont pas de CHSCT ni d’ergonomes.

Mais ils ont de la propagande, pour les motiver.

Mais ils ont de la propagande, pour les motiver.

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Avant notre départ, notre guide nous demande si nous voulons entendre l’hymne de l’usine. Oui, ils sont comme ça les Coréens, ils chantent à la gloire des usines.

[Pause déjeuner dans un luxueux hôtel. Musique classique à tue-tête]

L'hôtel dispose d'une libraire, avec deux citations des leaders qui plairont à nos amis libraires.

L’hôtel dispose d’une libraire, avec deux citations des leaders qui plairont à nos amis libraires.

"Les dessous des affaires louches", tout un programme.

« Les dessous des affaires louches », tout un programme.

En début d’après-midi, nous nous dirigeons vers le barrage de la Mer de l’ouest. Il a été construit à l’embouchure d’un fleuve pour éviter que l’eau de mer apporte du sel dans le fleuve et dans les champs alentours. Apparemment, l’augmentation du niveau de ce fleuve est l’une des raisons de la grande famine des années 1990, car il a noyé des milliers d’hectares de terres (mais ça, on ne nous l’a pas dit).

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La visite commence par un DVD retraçant l’histoire de la construction de ce monstre de huit kilomètres de long. 30.000 soldats ont été attelés à cette tâche, de 1981 à 1986. Le documentaire est un parfait exemple de propagande à la gloire des travailleurs, qui se sont consacrés par tous les temps à ce chantier pour la gloire et la prospérité de la nation.

Pour les anglophones, cet article du New York Times de 1989 parle de sa construction, qu’il estime à 1,8 milliard de dollars. Il mentionne aussi cet hôtel, « le plus haut d’Asie », qui sera « bientôt terminé »…

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Trêve de plaisanterie, l’ouvrage (et sa construction) est fichtrement impressionnant. C’est peut-être le seul bienfait du communisme tel qu’il a été mis en oeuvre ici ou en Chine : réussir à fédérer des dizaines de milliers de personnes sur de grands projets.

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Kim Jong Un (ou Kim 3e) est passé là il y a peu. Le barrage aura donc le droit à un nouveau monument-autographe.

Kim Jong Un (ou Kim 3e) est passé là il y a peu. Le barrage aura donc le droit à un nouveau monument-autographe-mosaïque.

Expérience magique ensuite, qui je pense ne pouvait avoir lieu qu’avec Young Pioneer Tours : nous allons à la plage ! Je ne vous raconte pas la surprise des Coréens quand ils ont vu débarquer un car de touristes ! C’était la première fois que l’agence organisait cela.OLYMPUS DIGITAL CAMERA

L’endroit est extrêmement animé, avec des barnums partout, des stations portables de karaoké, des barbecues… L’ambiance est vraiment à la fête ! Le temps est splendide et l’eau super bonne, on profite donc largement de ces trois heures relax. Un match de beach-volley visiteurs contre locaux s’improvise. Les locaux sont largement vainqueurs.

Barbecue coréen : on verse de l'essence sur des moules.

Barbecue coréen : on verse de l’essence sur des moules.

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Qui aurait pu penser qu’on pouvait aller se baigner tranquillement en Corée (enfin, je dis ça, mais c’était prévu dans l’itinéraire, validé par les autorités et y’avait sûrement des gens pour nous surveiller) ?

Cette fois, on doit la photo à Nicole, une Australienne.

Cette fois, on doit la photo à Nicole, une Australienne.

Pour nous rendre à l’hôtel de ce soir, nous devons traverser la campagne. « Pas de photos, les villageois n’aiment pas ça », nous prévient la guide. Hum, pas de photos des villages les plus pauvres, c’est compris.

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La campagne coréenne est magnifique, on se croirait dans un décor de fantasy, avec des petits chemins de terre zigzaguant entre les champs et les maisons à peine plus hautes que des plans de maïs. Pas de tracteurs ici, on en est encore à la charrette tirée par un taureau. Quand on se rappelle que ce pays a un programme nucléaire, ça étonne.

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Entre les villages, les rizières alternent avec les champs de maïs, avec régulièrement des panneaux de propagande montés sur des talus.

L’hôtel du jour est à Ryonggang. Il s’agit d’une ancienne villa réaménagée, avec un spa d’eau minérale naturelle dans chaque chambre. La grande classe.

Après dîner (et avant le spa), ceux qui veulent peuvent participer à un « barbecue de coques » (le fruit de mer). La méthode coréenne pour les cuire est assez particulière : ils versent de l’essence (correction de Mlle Pang : « ce n’est pas de l’essence, c’est de l’alcool ». Je maintiens qu’il s’agit d’essence) dessus et y mettent le feu.

C’est joli, mais qu’est ce que ça pue. Avec un gros moment d’appréhension, je porte la première coque à ma bouche. Malgré un arrière-gout d’essence (mais sans doute est ce seulement l’odeur qui me donne cette impression), c’est délicieux !

J’en profite pour poser une question à M. Pak : « les Coréens ont-ils tous une TV chez eux ou se réunissent-ils tous sur des squares ou des places pour la regarder ? » (je demande ça parce qu’on a vu une telle scène par la vitre du bus). « Je ne comprends pas la question », me répond-il. Je reformule. Il ne me répond plus.

Ces non-réponses commencent à me courir sur le haricot. J’ai d’ailleurs remarqué que nos guides ont des façons spécifiques de botter en touche : Mlle Pang se met à rire en donnant une réponse dont on ne sait si elle est sérieuse ou non, et M. Pak s’excuse en disant que son anglais est mauvais et qu’il ne comprend pas la question.

Parmi les questions « refusées » aujourd’hui, celle des téléviseurs, donc, mais aussi « quel est le salaire moyen en Corée ? » Réponse : « Je ne sais pas, on ne discute pas des salaires entre nous. » Ben en France non plus, mais ça m’empêche pas de connaître le salaire minimum, médian et moyen de mon pays.

Ce ne sont pourtant pas des questions si sensibles que ça. Ce n’est pas comme si on demandait : « pourquoi n’avez vous pas accès à Internet ? »….

Ce qui m’intrigue le plus, et dont je n’aurai sûrement jamais une réponse honnête, c’est ce qui se passe dans la tête de nos guides. Ils côtoient des étrangers tous les jours, ils doivent donc savoir que non, les Américains ne se nourrissent pas de neige et que personne n’a l’intention de les envahir dans un futur proche. C’est pourtant ce que leur dit le régime. Sont-ils conscients que le régime leur ment continuellement ? Qu’on vit bien mieux ailleurs qu’en Corée ? Le rêve de Mlle Pang est d’aller visiter l’Italie. Ce n’est pas un hasard, elle n’a pas choisi la Russie ou Cuba, mais le pays de la Dolce Vita. Comment gèrent-ils ces deux flux d’informations contradictoires ? Et leurs amis, leur famille, qui doivent bien leur demander comment sont les étrangers, quels gadgets ils ont, etc. ?

Guy Deslile l’a résumé dans le formidable Pyongyang :

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En tout cas, j’espère pour Mlle Pang qu’elle pourra un jour réaliser son rêve. Mais à Young Pioneer Tours, personne n’a jamais rencontre un nord-Coréen ayant déjà mis les pieds en Europe.

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Lire la suite : Jour 6 : Journée détente à Pyongyang, du stand de tir à l’unique pizzeria du pays

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